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Nous nous hâtâmes, en conséquence, de repasser la bride sur le cou de nos montures et de nous remettre en selle ; mais, au moment de partir, le cheval de l’avoué refusa de prendre le galop, et nous nous aperçûmes qu’il boitait du pied droit. Examen fait par maître Jean, il se trouva qu’il était déferré et assez blessé pour ne pouvoir marcher qu’au pas.

Pendant que, désappointés par ce contre-temps, nous délibérions sur ce qu’il fallait faire, quelques gouttes de pluie, emportées par la rafale, nous fouettèrent le visage.

— Il n’y a plus à songer à se mettre en route, dit le taupier ; faut que ces messieurs viennent à la closerie.

— Est-ce bien loin ? demandai-je.

— Là, tout contre, au bout de la chênaie.

Je regardai l’avoué.

— Nous ne pouvons choisir, dit-il ; allons provisoirement à la closerie.

— Alors, sauve qui peut ! s’écria Jean, voici l’accat !

À ces mots, il rentra la tête dans ses épaules, arrondit le dos, cacha ses mains sous ses aisselles et se mit à courir vers la chênaie. Au même instant, toutes les cataractes du ciel semblèrent s’ouvrir ; les gouttes de pluie tombaient si larges et si pressées, qu’elles paraissaient se continuer l’une l’autre et formaient un véritable voile liquide dont nous étions enveloppés. L’eau qui tombait sur nous à flots rejaillissait en cascades le long de nos montures. La surprise et le bruit de cette inondation nous avaient étourdis ; nous ne commençâmes à nous reconnaître qu’en atteignant le bois de chênes : là, grace au feuillage touffu, la pluie, qui frappait obliquement, n’avait pénétré que dans la lisière tournée à l’ouest. Au bout de quelques pas, nous nous trouvâmes presque complètement à l’abri. Maître Jean s’arrêta en se secouant.

— Eh bien ! en voilà une arrosée ! s’écria-t-il avec un éclat de rire ; faut que tous les moulins du bon Dieu aient ouvert leurs écluses du même coup !

— Je suis percé jusqu’aux os ! dit mon compagnon, à qui ce déluge subit avait donné le frisson.

— La closerie est au bout de la futaie, fit observer le taupier, et une flambée de fagots nous aura bientôt séchés.

L’avoué demanda s’il ne serait pas plus sage de regagner Mamers par la route de traverse.

— Ah ! bien oui, dit maître Jean, faudrait qu’il y eût encore une route ! mettez-moi un peu la tête à la fenêtre pour voir !

Il nous indiquait une percée par laquelle on apercevait la campagne. Tout y était noyé. L’eau coulait à travers les sillons comme dans des canaux et dégorgeait de toutes parts dans les douves débordées. Les