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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/330

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des collines, des falaises, puis un pic majestueux qui domine l’océan d’une hauteur de sept mille cinq cents pieds. Un pavillon à trois couleurs flotte au-dessus des frais ombrages de la baie : c’est le pavillon français ; cette baie est celle de Papeïti. Nous sommes chez nous, nous sommes à Taïti. Un bruit de fifres et de tambours, qui trouble les paisibles échos des vallées taïtiennes, ne permet pas d’ignorer la présence d’une garnison française. Le lieutenant Walpole, à ce propos, ne peut retenir une réflexion chagrine, mais qui a le mérite de la franchise. — Il nous avertit qu’il déteste cordialement les nouveaux maîtres de Taïti et qu’il a épousé à leur égard tous les sentimens d’hostilité des naturels de l’île. Nous remercions M. Walpole de sa sincérité : avec lui, du moins, nous savons tout de suite à quoi nous en tenir.

C’est un dimanche que le Collingwood jette l’ancre dans la baie de Papeïti. La présence du vaisseau aux quatre-vingts canons produit nécessairement dans l’île une sensation profonde. Néanmoins l’accueil fait aux officiers du Collingwood est des plus sympathiques : M. Walpole l’avoue lui-même, au risque de se faire accuser d’ingratitude. N’oublions pas que le Collingwood aborde à Taïti précisément à l’époque où la reine Pomaré, retirée dans l’île de Riatea, boude la France et refuse toute espèce de relation avec l’amiral gouverneur.

L’intérieur de l’île rappelle toutes les poétiques descriptions des premiers explorateurs. C’est bien là une corbeille de fleurs, une touffe de lotus flottant sur la mer. L’air qu’on y respire est à la fois dégagé et vivifiant. Cette île est un véritable paradis de verdure, où l’Ève du classique Éden est représentée par mille gracieuses jeunes filles au teint d’olive pur, aux yeux noirs comme la nuit, aux cheveux plus noirs encore, que relèvent et que parfument des guirlandes de jasmins blancs. Voici, parmi les jardins des cottages anglais, la résidence de la mission, la hutte de Pritchard, habitée par le régent Paraita, qui n’a d’autre souci que de dépenser les 20,000 fr. de pension qui ont récompensé son intervention en faveur de la France ; plus loin, sous les palmiers, exposée aux premières brises de la mer, se présente une maison déserte ; jadis bruyante, aujourd’hui solitaire : c’est la hutte où Pomaré venait passer les heures brûlantes du jour. Une belle grande route appelée Broom-Road (j’aime à croire qu’elle porte à présent un nom français) fait, pour ainsi dire, le tour de l’île. Grace à l’ombre épaisse et fraîche qu’y versent les arbres qui la bordent, on peut y voyager tout le jour. Les officiers du Collingwood suivent cette route, qui les conduit tout naturellement à la hutte de l’un des chefs principaux qui n’ont pas encore reconnu l’autorité de la France. Il semble que les environs de Broom-Road soient habités par tous les sujets hostiles au protectorat français, car, après cette première halte, les Anglais rencontrent sur la même route un groupe de huttes devant lesquelles