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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/335

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semble indiquée par un pic élevé, svelte comme une colonnette gothique, dont le chapiteau se dessine en blanc sur un ciel bleu, dont la base et la moitié du fût plongent dans d’inextricables guirlandes de verdure. Au centre s’ouvre un large trou que la mer a creusé, mais dont la tradition explique autrement l’origine. Oro, l’ancien dieu de la guerre, le plus redoutable des dieux de la mythologie taïtienne, était, de son vivant, roi d’Eimeo ; il était alors la terreur de ses voisins, comme il devint plus tard l’effroi de ses adorateurs païens. Dans un de ses jours de mansuétude, Oro avait fait une visite au roi de Taïti. Il y eut entre les deux souverains une lutte à qui boirait le plus de lait de coco fermenté. La victoire fut longuement disputée ; Oro fut battu, et tomba dans le sommeil de l’ivresse. Une nouvelle qu’on lui transmettait le tira de l’engourdissement. Le roi de Borabora avait fait une descente dans son royaume, et s’en était retourné gorgé de butin et avec un grand nombre de captifs. Oro furieux tira sa lourde épée de guerre. Sa fureur n’était pas calmée quand il aborda au pied du pic de l’île d’Eimeo, et il estramaçonna si violemment l’immense bloc de rocher, que la pointe de son glaive y laissa cette effroyable marque de sa colère.

Le moment est venu pourtant où le Collingwood doit reprendre sa course vagabonde. On s’arrache, non sans regret, aux délices de Taïti, la nouvelle Cythère ; on passe rapidement devant le groupe des Iles de la Société. Nous voilà aux îles Sandwich, où le capitaine Cook, trouva son tombeau. Comme au temps de l’illustre navigateur, aussitôt qu’un bâtiment étranger jette l’ancre devant l’une de ces îles, une nuée de canots couvrent la mer, apportant des provisions de toute sorte, et telle est la fertilité du sol des Sandwich, que les voyageurs venus des latitudes les plus opposées sont toujours sûrs de retrouver parmi les produits de cette terre lointaine un souvenir du pays qui les envoie. M. Walpole fait aux îles Sandwich un assez long séjour ; sa santé altérée l’oblige même à laisser s’éloigner le Collingwood. Il met à profit sa convalescence pour observer la population curieuse au milieu de laquelle il est jeté. Une jeune Indienne lui sert de guide dans ses promenades, et nous avons lieu de croire que l’officier anglais ne se plaint pas trop du cicerone que le hasard lui a donné. La jeune Elekek unit la naïveté de l’enfant aux graces de la femme : c’est un des types les plus charmans de la nature polynésienne. Dans une de ses promenades, le convalescent s’arrête, pour reprendre haleine, à l’entrée d’un hameau, sous l’ombrage odorant d’un frangipanier. Elekek se tient près de l’officier comme une sentinelle vigilante. On est à ce moment de calme profond qui précède à la fin des chaudes journées le coucher du soleil. Tout à coup une plaintive harmonie trouble le silence : les sons d’un cor arrivent aux oreilles de l’officier anglais, mêlés aux frémissemens