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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/351

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HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE.


de Vico, et que M. Michelet connaissait directement, familièrement les principes du philosophe napolitain sur la succession et la génération des faits historiques. Il est vrai qu’on retrouve dans l’œuvre de Niebuhr toutes les idées de Vico sur l’époque mythique, sur l’époque héroïque, sur l’époque humaine de toutes les nations ; mais l’application spéciale de ces idées au peuple romain n’appartient pas en propre à M. Michelet. Quelque sagacité, en effet, qu’il ait déployée dans l’analyse et l’interprétation des textes, quelque originalité qu’il ait montrée dans la solution de plusieurs problèmes, il est impossible de ne pas reconnaître en lui un élève de Niebuhr aussi bien qu’un élève de Vico. Chez l’écrivain allemand comme chez l’écrivain français, c’est toujours et partout le même procédé, modifié seulement par le génie des deux nations. J’admets volontiers la vérité des principes posés par Vico, sauf à discuter les conséquences extrêmes de ces principes, après la triple évolution mythique, héroïque et humaine ; cependant le procédé adopté par Niebuhr et suivi par M. Michelet convient-il à l’histoire ? Je ne le crois pas. L’historien allemand et l’historien français émiettent les légendes acceptées par Tite-Live, les réduisent en poudre ; mais leurs mains savent-elles trouver dans ces ruines les matériaux d’un édifice nouveau, plus solide, plus vrai, plus durable que les légendes de Tite-Live ? Hélas ! non ; nous marchons de ruines en ruines ; toutes les pierres séculaires qui semblaient unies ensemble par un ciment indestructible, séparées maintenant par une critique impitoyable, jonchent le sol, peuplé hier encore des grandes figures familières à notre jeunesse. Toutefois que nous donne Niebuhr, que nous donne M. Michelet en échange de ces figures qu’ils déclarent mythiques ? Après avoir réduit Plutarque et Tite-Live à confesser leur ignorance, leur crédulité, nous disent-ils où est la vérité, quels sont les faits dignes de croyance ? Mon Dieu, non. Tout-puissans pour détruire, impuissans à construire, ils défont l’histoire et ne la refont pas. Romulus, Numa, Ancus-Martius, Tullus-Hostilius, les Tarquins, le premier Brutus, s’évanouissent comme des ombres : nous attendons la lumière qui doit nous montrer, au lieu de ces figures menteuses, des acteurs vivons, des personnages réels ; mais la lumière ne vient pas, et la nuit s’épaissit autour de nous. L’historien s’acharne contre l’histoire, sape sans relâche toutes les traditions de l’époque mythique, savoure avec délices le malin plaisir de nous arracher une à une toutes les illusions de nos premières études, nous promène, nous égare dans ce monde de néant et de ténèbres, se rit de notre impatience et triomphe de notre désenchantement. Il y a certainement, dans ce travail de destruction, bien des idées ingénieuses et qui ont leur part de vérité ; mais à quoi bon recourir aux étymologies les plus savantes ? à quoi bon interroger les débris de la langue étrusque et de la langue osque pour trouver le sens d’un nom ? à quoi bon