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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/371

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distribuant parcimonieusement aux habitans le strict nécessaire pour ne pas mourir de faim. Le gouvernement veut négocier encore ; eh bien ! il faut repousser toute négociation nouvelle comme inutile et ne pouvant aboutir à rien, car le général Rosas est décidé à tout refuser. M. Daru, on le voit, a traité la question de Montevideo comme une équation algébrique. Confondant dans ses termes les passions et les intérêts d’amour-propre, les rapports officiels et les simples dires, les appréciations vagues d’agens incompétens et l’opinion raisonnée des hommes les plus capables, leur donnant à tous la même valeur, il a fait sortir de sa formule mathématique les plus étranges erreurs. Il n’a pas craint de faire vibrer toutes les fibres de notre vanité française, et de montrer à la nation son gouvernement comme contraint d’agir entre la honte, l’impuissance ou la folie.

Quand M. Thiers est venu, à son tour, en appeler aux armes de la France, il s’est bien gardé de le faire au nom d’engagemens chimériques en faveur d’un état étranger, qui avaient été aussi l’un des principaux argumens de M. Daru. C’est un intérêt essentiellement français qu’il a invoqué tout d’abord ; c’est pour venger des Français égorgés, c’est pour obtenir des indemnités en faveur de nos compatriotes pillés et dépouillés qu’il a demandé la guerre. M. Thiers a raison : si nos nationaux ont été égorgés, s’ils ont été maltraités et que l’autorité locale leur dénie la justice qui leur est due, c’est aux armes de la France de la leur faire obtenir ; mais ces actes odieux sont-ils vrais ? On peut hardiment défier qui que ce soit d’en fournir la preuve. Notre chargé d’affaires à Buenos-Ayres a, dans un manifeste, donné le démenti le plus formel à ces prétendues avanies dont les autorités du pays se seraient rendues coupables envers nos compatriotes. Dans les affaires judiciaires où nos nationaux français étaient engagés, un attaché de la légation de France assistait au tribunal, à la requête même du juge du district, et, malgré la pointilleuse rigueur avec laquelle il soutenait les droits de ses nationaux, il lui a été impossible de surprendre la moindre partialité dans les jugemens rendus. Faut-il encore un trait pour achever de montrer combien, dans cette malheureuse question, on semble se plaire à accumuler les plus chimériques accusations pour égarer l’opinion publique ? Les gens de Montevideo avaient publié une liste de proscrits traîtreusement égorgés, disait-on, par Oribe. Nos agens et nos officiers à Buenos-Ayres voulurent vérifier par une sorte d’enquête ces atroces exécutions, et ils purent se convaincre que la plupart des noms portés sur ces listes mortuaires appartenaient à des hommes pleins de vie. Si, par suite d’événemens de guerre, il y a lieu à quelque demande en indemnité de la part de nos nationaux, c’est aux tribunaux de décider : nous ne pouvons intervenir en armes qu’en cas de déni de justice du pouvoir local.

C’est d’ailleurs une grave erreur de croire que Montevideo puisse devenir un jour le centre du commerce de la Plata : la nature en a ordonné autrement. Buenos-Ayres est le point de convergence obligé de toutes les grandes voies de communication de l’Amérique centrale : là viennent aboutir l’Uruguay, le Parana et les grandes routes qui, d’une frontière à l’autre des états de la confédération, vont jusqu’en Bolivie et dans le Haut-Pérou. Là convergent aussi les routes qui, à travers les pampas, franchissent la Cordillière et unissent les