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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/41

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dit Élisabeth en donnant à la main de Robert une étreinte dont le Vendéen se sentit défaillir. -Adieu, madame, répondit Vibraye ; » et d’une voix où gémissait l’accent d’un cœur mortellement blessé : « Vous savez, dit-il, que dans une nuit où vous êtes venu chez moi, dans la chambre de ma mère, pour me prendre mon ame, je vous ai promis de ne jamais quitter Saint-Nazaire sans vous avoir dit adieu. »

Puis il se retira dans sa chambre, et se jeta en pleurant sur son lit, sur ce lit où il avait passé des heures pleines de douleur et de délices, pendant qu’Élisabeth attachait sur lui ce regard qui avait tout remué dans son cœur et tout changé dans sa vie. Il sentait, sans bien comprendre pourquoi, que cette femme, en effet, ne serait jamais à lui. L’amour a des révélations douces ou cruelles dont il faut à toute force reconnaître la vérité. Le chapelet d’Élisabeth était dans sa main ; c’était une relique de famille à laquelle, en effet, la duchesse attachait un grand prix. Son premier mouvement fut de briser ce pieux objet, prétexte ou cause de la résolution qui le désespérait ; puis, une autre pensée s’empara de lui ; il porta le rosaire à ses lèvres et le mit sur son cœur. « Demain, se dit-il, je me servirai du moyen qu’hier, avant son départ, le mari d’Élisabeth m’a donné pour aller loin d’ici ; mais j’emporterai cette relique avec moi. Je veux qu’il me reste de ces jours quelque chose que je voie et que je touche. C’est vrai d’ailleurs, elle a prié et pleuré sur ces grains bénits. Que je voudrais savoir, mon Dieu, les secrets de l’ame qui me fait souffrir !

Quant à la duchesse, aussitôt que Robert se fut retiré, elle revêtit un domino et attacha un loup sur son visage. Elle avait reçu de Montceny, le matin même, ce billet : « Si vous prenez encore quelque intérêt aujourd’hui à ce qui semblait vous toucher hier au soir, laissez, je vous en prie, vos hôtes partir sans vous de Saint-Nazaire, et soyez en domino à minuit devant ce grand vase bleu que vous savez. Eh bien ! si votre cœur est mort, ce sera un spectre au bal masqué. »


IX

Dans l’hiver de 183.., un officier qui avait été présenté depuis quelques jours à la duchesse de Tessé se rendit un soir chez elle, et la trouva prête à partir pour un grand bal chez je ne sais quel homme à millions des Indes ou de l’Amérique qui était à la mode en ce temps-là. Elle était seule avec Mme de Mauvrilliers, qui était venue la chercher et qui se tenait debout devant la cheminée l’éventail à la main, les épaules et les pieds enveloppés de satin rose et de fourrure blanche, enfin, déjà en tenue de route, pour parler militairement. La duchesse