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de préférence les adhérens et les soldats du prétendant, pour les exterminer à leur manière, comme dit M. Madoz. Plus de 6,000 soldats en restèrent à l’hôpital, la plupart pour y mourir. « L’histoire n’osera pas consigner l’exemple d’une aussi impie vertu civique, » écrivait à ce propos le grave marquis de San Felipe (no se leera tan impia lealtad en las historias !) En effet, nous comprenons l’embarras de l’histoire.


III

Si, des mœurs politiques de Madrid, nous passons à ses mœurs privées, un chiffre nous fournira encore à cet égard de nombreux éclaircissemens.

En comparant, toujours d’après le relevé de 1846, le nombre des maisons avec celui des habitans, nous trouvons en moyenne un peu moins de huit domiciles et environ 32 habitans par maison. Cette proportion n’a d’analogie ni avec la banalité des habitations parisiennes, où chaque voisin n’est souvent qu’un inconnu de plus dans la foule inconnue des voisins, ni avec cet exclusivisme domestique qui, dans la plupart des quartiers de Londres, ne tolère qu’une famille sous chaque toit. De là, pour la capitale espagnole, une physionomie à part. La communauté de toit est presque à Madrid une amitié à laquelle viennent peu à peu converger les amitiés et les relations du dehors, de sorte qu’au Prado, au théâtre, à la Puerta del Sol, presque tous les gens de même classe s’abordent ou se saluent. Un autre détail de statistique vient puissamment influer sur la sociabilité madrilègne. La période d’âge comprise entre vingt et trente ans, la période des bals, des rendez-vous, des bouquets et des éventails qui parlent, est celle qui compte, à Madrid, les représentans les plus nombreux (près de 51 mille pour les deux sexes, le quart environ de la population totale). Je laisse à penser les brèches que ce personnel conquérant pratique dans les remparts de la vie privée. L’élégante facilité des mœurs péninsulaires s’y prête du reste merveilleusement. L’amour est une bienséance en Espagne. Rester deux minutes auprès d’une jeune femme et surtout d’une jeune fille que le hasard a fait, à la promenade ou au bal, votre voisine, sans provoquer la conversation, — et causer cinq minutes avec elle sans l’entraîner sur le terrain glissant du madrigal, — ce serait violer, en Espagne, les deux prescriptions les plus vulgaires du savoir-vivre. À la seconde rencontre, on se donne mutuellement son petit nom, et il n’est pas rare de s’entendre, dès la troisième, appeler amigo (ami), sans que les mères ou les jaloux puissent s’en offusquer, et sans que la fatuité la plus robuste, disons-le aussi, ait droit de s’en prévaloir. Le cas ne devient sérieux que si cette gracieuse familiarité de langage tourne au diminutif, si l’amigo, par exemple, passe au rang