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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/448

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comme mademoiselle ; mais au moins faut-il témoigner que l’on sent l’honneur de fréquenter avec des gens de qualité. Sans cela, on ne vous croirait point gentilhomme.

Et le major tâcha d’adoucir sa voix de stentor, pour ajouter en regardant Claudine :

— Souffrez, belle demoiselle, que je sollicite pour mon fils Thomas l’avantage de se déclarer votre serviteur. Il se nomme Des Riviez. Je suis Jacques Des Riviez, major au nouveau régiment de Mazarin, levé par décret du 27 mars 164.2, aux frais du grand ministre qui gouverne aujourd’hui la France (1).

Claudine allait sans doute répondre qu’elle n’était point demoiselle, mais bien une pauvre paysanne de Saint-Mandé, lorsque le petit Boutteville lui serra le bras et lui fit signe de poursuivre une comédie qui commençait si bien.

— Ma foi, dit le fils Thomas, je ne sais trop ce que c’est que d’être votre serviteur, mademoiselle ; mais, si vous m’en accordez le titre, je m’en tiendrai pour fort honoré.

— Puisque monsieur votre père le désire, répondit Claudine, je vous accepte volontiers pour mon serviteur, à condition que tout ceci ne sera qu’un badinage.

— Monsieur Thomas Des Riviez, dit BoutteviUe, vous allez sur mes brisées, car je suis plus ancien que vous en date ; mais il n’importe : je consens que vous fassiez votre cour à mademoiselle, afin qu’elle puisse compter deux serviteurs au lieu d’un.

— Bon, cela, dit le père ; voilà prendre galamment une rivalité. Mon fils Thomas se peut donc flatter de faire amitié avec vous, monsieur de Bouttevilleî

— Assurément, monsieur.

—11 se souviendra de cette heureuse journée. On en parlera en mon château des Riviez, car j’écrirai la relation de cette rencontrée ma femme. Je pourrai dire à mon colonel, M. le marquis d’Anizy, que mon fils Thomas et moi sommes amis de M. de BoutteviUe.

C’était là le fond de la pensée du major, mais, en bon courtisan, il s’empressa d’ajouter :

—Et tous deux serviteurs de mademoiselle de…

— Claudine Simon, dit BoutteviUe.

Le major s’inclina d’un air pénétré, persuadé qu’il entendait un nom illustre.

— Mon fils Thomas, reprit-il, demandez à baiser la main de mademoiselle.

(1) Le régiment de Mazarin ou Royal-Italien devint régiment d’Orléans en 1600, et enfin le 27e d’infanterie en 1666.