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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/45

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serions fort à plaindre si nous ne sentions l’inopportunité, le danger de tels dédains, de tels débats. Les intérêts, la religion, la pensée même, la pensée surtout, suis-je tenté de dire, toutes les fois qu’elle n’arrive pas aux conclusions obligées du nouvel évangile, sont placés sous le coup de la même menace. La communauté des attaques doit au moins servir à révéler à toutes les ames honnêtes, à tous les esprits justes, l’union intime d’élémens divers dont le plus grand tort était de se croire ennemis sur la foi d’une vaine apparence. La révolution a eu pour effet salutaire d’affaisser pour ainsi dire les surfaces trompeuses sur lesquelles se dressaient des tentes rivales, et qui cachaient l’abîme sous les pas de la société abusée ; elle a eu cela de bon de montrer à nu les trois ou quatre grandes racines entrelacées de la civilisation moderne : ce n’est pas un rameau isolé, c’est l’arbre tout entier qui a frémi au coup de cognée des niveleurs. Si l’industrie souffre, la pensée souffre-t-elle moins ? Si le christianisme se plaint de ses enseignemens délaissés, l’esprit libéral de nos pères, l’esprit du cartésianisme et de la révolution française, que les sectes contemporaines prétendent continuer, mais auquel en réalité elles tournent le dos, est-il moins malade ? Eh bien ! que la ligue rompue de toutes les vérités se reforme elle seule est en mesure de mettre en déroute la ligue de tous les mensonges.

En traitant la philosophie comme une de ces racines sacrées, comme une puissance salutaire, conservatrice en même temps que progressive, on choque, nous ne l’ignorons pas, plus d’un préjugé. Qu’il nous soit donc permis d’insister en commençant sur ce point tant controversé, et, nous le craignons, qui menace de l’être de moins en moins, tant l’attaque partie des points les plus opposés de l’horizon semble unanime ! On était habitué à écouter autrefois la philosophie parlant en juge et en souveraine ; refuserait-on de l’entendre quand elle condescend à s’expliquer comme accusée, quand elle se présente non plus comme une arme d’opposition battant sans cesse en brèche l’autorité, non plus seulement comme un puissant stimulant à la marche, toujours à son gré trop lente, du genre humain, mais comme un auxiliaire dévoué voulant contribuer pour sa part à la commune défense, et apportant comme tribut à ces autres principes qui la tenaient pour suspecte la répression, par la vérité et par la logique, des erreurs qu’on l’accuse d’avoir elle-même suscitées ?

Ceux qui attaquent la philosophie, ceux qui conseillent à la société de s’en défaire, comme un navire qui fait eau jette par-dessus le pont un bagage qui l’embarrasse, s’adressent d’ordinaire aux mobiles suivans : l’intérêt de conservation, les intérêts, l’autorité et la religion. Nous n’aurions aucun goût à contester la puissance ou la sainteté de ces mobiles. On prouve à merveille qu’ils peuvent beaucoup. Peuvent-ils