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LA BAVOLETTE.

assiégée et presque aussitôt prise. Spire, Philipsbourg, Mayence, s’étaient rendues au jeune prince. Le petit Boutteville avait fait ses premières armes auprès de son cousin, et l’on disait qu’il s’était bien conduit. Si l’on ne parlait point de Thomas Des Riviez, c’est qu’il ne portait pas un nom si fameux ; mais assurément il avait dû se battre aussi bien que les autres pour l’amour de sa fiancée. La bataille de Northngue et ses graves conséquences portèrent si haut la gloire du duc d’Engbien, que la France entière couvrit ce prince de bénédictions. Il y eut des réjouissances publiques, et Claudine, au fond de son aine, en était aussi aise que si on l’eût élue reine de Pologne, comme M’e de Nevers. L’échec de son héros devant Lérida lui fut sensible et la rendit triste durant un mois ; mais d’autres succès la consolèrent. Elle comprit que les amours et leurs sermens passaient après les devoirs de la guerre, et elle ne s’étonna pas trop des lenteurs de son ami à venir réclamer la foi promise. En un mot, la bavolet te était dans ces conditions où les filles se mettent si volontiers, et qui consistent à dépenser pour une idée fixe leurs plus belles années et la fleur de leurs sentimens. On commençait à s’émouvoir des querelles entre la cour et le parlement. La fronde rie allait éclater. Le village de Saint-Mandé, accablé d’impôts, faisait des vœux pour les magistrats courageux qui prétendaient mettre un terme aux abus. Claudine penchait pour le parti de la reine, sans en rien dire, de peur d’être appelée mazarine. Un matin, l’on vit, sur la route de Saint-Mandé, un grand mouvement de troupes. Un détachement de dragons sorti de Vincennes occupait l’avenue. Les paysans laissèrent leurs travaux pour s’enquérir des nouvelles, et on leur apprit que Paris était tout hérissé de barricades. La cour pliait bagages pour fuir une population en fureur. La journée du 26 août 1648 répandait d’un bout à l’autre de la France l’agitation dont Paris donnait le signal. Claudine, se glissant parmi les curieux, s’approcha d’un vieux dragon placé en vedette, le pistolet au poing.

— Monsieur, lui dit-elle, savez-vous ce que fait le régiment de RoyalItalien, et en quel pays il est à cette heure ?

— Je l’ai laissé, répondit le dragon, au siège d’Ypres, il y a trois mois. À cette heure, il bat les Espagnols sous les murs de Lens ; mais il va revenir, car le blocus de Paris est résolu. Est-ce que vous avez un parent dans ce régiment ?

— Un ami, dit Claudine en baissant les yeux.

— J’entends : un amoureux. Peut-on savoir comme il se nomme ?

— Thomas Des Riviez.

— Oui dà ! mais c’est un officier. Je le connais. La belle, vous prenez vos amoureux parmi les gentilshommes. On sait ce que cela veut dire. Et vous portez un méchant bavolet de toile ? Votre galant ne vous paie donc guère pour être sa maîtresse ?

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