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digne de se gouverner lui-même, c’est qu’ils prennent pour guide la raison et jamais l’amour-propre. Ils savent discerner avec rapidité et avec une admirable rectitude ce qu’exige l’intérêt général du pays, et, quel que soit l’entraînement des passions politiques, quelles que soient les suggestions de l’intérêt privé, ils s’imposent sans balancer les plus douloureux sacrifices. En 1815, les droits sur l’importation du blé furent rétablis, et l’on n’hésita pas à faire usage de la force pour réprimer les manifestations séditieuses, les émeutes que provoqua cette mesure législative. On ne se mettra pas dans la même nécessité, parce que les temps sont changés, parce que la disproportion des forces a également changé, parce qu’aucun homme d’état anglais ne voudra prendre la responsabilité d’une lutte violente, où le triomphe serait acheté au prix de la ruine de l’industrie anglaise. Quelques membres de l’aristocratie, qui ont toujours appartenu à la cause protectioniste, le comprennent ainsi, et acceptent, sans hésiter, la loi de la nécessité. Lord Yarborough, plus connu sous le nom de lord Worsley, s’est exprimé ainsi : « Je crois que ceux qui encouragent les fermiers à attendre leur soulagement du rétablissement des droits protecteurs ne font que se tromper eux-mêmes et tromper autrui. Je suis convaincu que la tentative de rétablir, en vue de la protection, un droit sur le blé, droit qui, pour atteindre son objet, devrait être quelquefois tout-à-fait prohibitif, ne peut aboutir qu’à un avortement après avoir plongé le pays dans une agitation convulsive et jeté les germes d’une animosité plus acharnée entre les deux classes laborieuses du royaume. » Lord Drumlanrig déclare, dans une lettre à ses tenanciers, que, « dans sa conviction la plus intime, la cause de la protection est perdue pour toujours, et que, malgré l’atteinte qu’en reçoivent ses intérêts individuels, il ne peut, comme honnête homme, dire qu’il n’en doit pas être ainsi. » Il confesse que dans une contrée comme l’Angleterre, où il existe une classe ouvrière si nombreuse et si misérable, l’intérêt de la paix et de la tranquillité publique exige qu’aucune tentative ne soit plus faite pour élever artificiellement le prix du pain. Au meeting d’Harborough, sir H. Halford, après avoir rappelé qu’il avait toujours soutenu le régime de la protection, après avoir déclaré qu’il le croyait nécessaire à une agriculture aussi lourdement taxée que celle de l’Angleterre, a ajouté : « Néanmoins je ne crois pas pouvoir, en conscience, entretenir chez vous l’espérance d’un prompt soulagement par un retour au tarif protecteur. Les grands changemens, comme l’établissement du libre échange, ont besoin d’un certain temps pour une épreuve complète, et je dois convenir que si l’agriculture est dans une détresse profonde, les autres portions de la communauté n’ont point encore à regretter ce qui a été fait. »

Nous ne croyons pas au prochain renversement du ministère de lord