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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/554

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vivifiant et profond, ce talent souple, toujours en éveil, et s’appliquant avec bonheur à tout ce qui lui offre, sous une forme sérieuse ou légère, un élément de cette vérité qu’il recherche, de cette beauté qu’il aime. Ainsi, à côté de notices sur Goethe, sur Hoffmann, sur Chamisso, d’entraînans récits de voyages, de beaux travaux sur l’histoire comparée des langues et des littératures du Nord, M. Ampère publie un volume de vers, et cela simplement, sans prétention, sans emphase, uniquement parce que l’impression pittoresque, le souvenir historique, l’étude d’une poésie étrangère, se sont revêtus pour lui, à certains jours, des tissus éclatans du rhythme, et ont choisi pour interprète la langue sacrée. Ainsi compris, l’art des vers cesse d’être un art particulier, abordable aux initiés seulement, et renfermant des secrets de mécanisme et de métier ; il n’est qu’une expression de plus donnée à l’émotion, à la pensée et à l’image, expression libre, spontanée, se soumettant d’elle-même et sans effort à certaines lois qui la précisent sans l’entraver. Il accompagne le voyageur, il charme pour lui les ennuis de la route, il partage ses admirations et ses aventures ; il mêle à d’arides travaux son rayon et son sourire, faisant passer à travers une veillée laborieuse ses brises rafraîchissantes et embaumées. Si nous ne nous trompons, la Muse a été pour M. Ampère plutôt une compagne affectueuse qu’une de ces initiatrices superbes auxquelles on demande la gloire en retour de retentissans hommages : doux et précieux privilège d’un rare esprit chez qui le travail anime tout, ne dessèche rien, chez qui la science elle-même a ses floraisons charmantes, et qui se multiplie sans cesse, embrassant mille objets divers pour ouvrir un champ plus vaste à son talent de bien dire, ou variant les formes de son langage pour avoir plus de moyens d’interpréter ce qu’il sent, ce qu’il pense et ce qu’il sait !

Il faut en convenir, plus les temps sont orageux et tristes, plus il y a de charme à s’enfermer dans de tels travaux, et aussi à essayer de les définir et de les louer. Que n’est-il permis de s’y attarder, de s’y complaire, de se créer, à part soi, une Athènes fermée aux profanes, interdite à la barbarie menaçante ! Les sujets d’étude sérieuse ou piquante, d’admiration sincère et féconde, n’y manquent pas. Là, c’est l’Académie française conservant, au milieu de nos mœurs nouvelles, toute sa dignité et son prestige, ouvrant ses portes à un public charmé pour la réception de M. de Saint-Priest, et l’ingénieux historien de Charles d’Anjou triomphant avec éclat des difficultés d’un sujet où il s’agissait d’encadrer dans le même éloge deux physionomies bien contraires, M. Ballanche et M. Vatout. Là, c’est un homme d’état illustre, plus grand peut-être dans l’adversité que dans la puissance, profitant, pour retourner à la littérature et à l’histoire, des loisirs que lui ont faits nos malheurs, et, au milieu des avortemens douloureux de la révolution française, se demandant, avec l’impartialité clairvoyante du moraliste, du politique et du sage, pourquoi la révolution d’Angleterre a réussi ? Oui, ce sont là de nobles exercices pour la pensée, et il semble qu’en suivant la trace de ces hommes éminens, on s’affermisse à leur contact, on s’éclaire de leurs leçons ; mais ce charme, si on le goûte avec une obstination trop exclusive, a aussi son inconvénient et son péril. Ce qui nous alarme sur l’avenir de la société, malgré les facultés brillantes et les courageux services de ses défenseurs, c’est justement cet abîme qui sépare l’attaque et la défense. Il faut descendre si bas sur l’échelle de l’intelligence, de