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accomplis par les corps qui sont chargés légalement de faire la loi et de l’exécuter. Nous ne sommes pas non plus de ceux qui croient que la constitution ne peut avoir que le sens qu’il plaît à la montagne de lui assigner. Cette interprétation exclusive et arbitraire, ce droit de proclamer à sa fantaisie les violations de la constitution, ont été vaincus le 13 juin 1849. La constitution n’appartient pas seulement à ceux qui l’ont faite, elle appartient à ceux qui l’ont acceptée ; elle n’a donc que le sens que lui donnent les besoins de la nation ; elle a le sens qui fait vivre la société, et non pas le sens qui la ferait infailliblement périr. Or, ce sens vital de la constitution, qui peut le proclamer, sinon les pouvoirs créés par la constitution elle-même, c’est-à-dire le président et l’assemblée ?

L’accord de la majorité et du président nous paraît donc la condition indispensable du salut public ; .mais, pour que la majorité s’accorde d’une manière efficace avec le président, il faut que la majorité soit d’accord avec elle-même. Or, l’accord de la majorité dépend beaucoup de son organisation. Qu’on nous permette quelques réflexions à ce sujet.

Ç’a été un grand bien que la réunion de la rue de Poitiers et plus tard du conseil d’état. Elle a singulièrement aidé à la recouvrante du pays ; mais il ne faut pas se dissimuler que, dans une réunion de ce genre, l’accord ne peut aisément avoir lieu que sur les grands principes sociaux. Une fois qu’on entre dans le détail, une fois qu’on arrive à la pratique, l’accord d’une grande réunion devient difficile, quand surtout cette réunion est composée de nuances d’opinions diverses. Cette diversité de nuances est inévitable, et de plus elle n’est point un mal ; nous ne voudrions pas la voir s’effacer. Que faire donc pour la maintenir dans ses justes limites ? Il faut que chaque nuance ait son à parte, et que ces divers à parte se réunissent dans un concert intelligent et réfléchi. Venons au fait. Il y a dans la majorité des légitimistes, des bonapartistes et des orléanistes. Si vous essayez de les confondre dans une grande réunion et de les faire tomber d’accord sur des mesures qui ne soient pas des mesures immédiates de salut public, il arrivera infailliblement de deux choses l’une : ou bien la division se mettra dans le camp, ou bien les violens entraîneront le corps de la réunion. Au lieu d’être conduit par la tête, on sera conduit par la queue. Le moyen d’éviter cet inconvénient, c’est que chaque nuance ait en quelque sorte sa réunion à part pour s’y entendre et s’y concerter en famille, et que ces diverses réunions communiquent entre elles par leurs chefs naturels. Organisation tout-à-fait aristocratique, nous le reconnaissons, ou fédérative, nous l’avouons encore ; mais c’est pour cela même que nous l’aimons. Quand il y a dans une majorité des pensées diverses, qu’est-ce qui vaut le mieux de mettre aux prises ces diverses pensées en les faisant représenter dans chaque parti par les plus violens, ou de les mettre en face les unes des autres en les faisant représenter dans chaque parti par les plus éclairés ? Dans le premier cas, la lutte est inévitable ; dans le second cas, l’accord est probable. Les plus éclairés sont en général les plus modérés. Il n’y a donc point de danger, selon nous, à organiser la majorité d’une manière aristocratique. Devons-nous craindre davantage l’organisation fédérative ? En vérité, non, car c’est le moyen que la pensée de chaque nuance de la majorité ait sa part d’influence dans les mesures