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pouvait conspirer tout à son aise et attaquer le gouvernement dans la rue sans avoir à craindre autre chose que quelques années de prison. Certes voilà un rapprochement qui nous touche, et, sauf la conclusion qu’on en tire, nous le trouvons fort juste en effet. Oui, la monarchie constitutionnelle était plus douce que la république, elle était plus modérée dans les châtimens qu’elle infligeait, elle respectait bien davantage la liberté et la vie des individus, elle était plus généreuse ; mais pourquoi ? Parce qu’elle était un gouvernement limité, où le jeu régulier des institutions, l’équilibre des forces politiques, le frein de la loi, procuraient au pouvoir une liberté d’action et un sentiment de sécurité qui le portaient naturellement à l’indulgence, tandis que la république, au contraire, celle du moins qu’on nous a faite en 1848, exposée à de continuelles secousses par la mobilité de son principe, toujours inquiète du lendemain, toujours menacée de périr dans un conflit, se voit forcée de demander aux lois exceptionnelles l’autorité que ne peut lui donner l’exercice régulier de sa constitution. Les pouvoirs faibles sont les plus violens ; l’extrême licence appelle pour contre-poids l’extrême rigueur. Aussi les lois d’exception ont-elles été le régime ordinaire de la France depuis la révolution de février. Oui, nous le pensons comme vous, ces transportations en masse, ces détentions sans jugement, ces tribunaux militaires, cette législation de l’état de siège et de la dictature, tout cela est bien rigoureux, surtout pour une nation comme la nôtre, qui était si fière de sa civilisation et de la douceur de ses mœurs ; mais à qui la faute ? et qui a droit de se plaindre ? L’occasion d’ailleurs était bien choisie pour crier à la barbarie, à l’injustice ! Où sont donc les bourreaux et les martyrs ? Quoi ! voilà des hommes qui ont commis le plus grand des crimes, qui ont voulu détruire, non pas un gouvernement, mais la société même, qui, pendant trois jours, ont arboré le drapeau de l’incendie et du pillage ! Pris les armes à la main, un décret ordonnait de les transporter à trois mille lieues de la France ; on a différé par humanité l’application du décret. Par des graces individuelles ou collectives, on a réduit successivement leur nombre de 3 500 à 468, et enfin ces derniers, qui sont les plus endurcis et les plus dangereux, on les transportera en Algérie, presque en vue de la France, sur des terres qu’ils pourront fertiliser par le travail. Voilà pourtant ce qu’on appelle un excès de cruauté !

La politique étrangère vient de se ranimer sur une question qui nous touche d’aussi près que faisait, il y a un an, la question italienne. Nous voulons parler des réfugiés allemands et italiens qui agitent la Suisse et des démarches faites par les puissances européennes pour obtenir leur expulsion. Selon nous, il y a là un intérêt européen, mais il y a aussi une question française. C’est sur ces deux points que nous voulons faire quelques courtes réflexions. Parlons d’abord de l’intérêt européen.

Il y a trois Europes aujourd’hui ; il y a l’Europe absolutiste, l’Europe libérale, l’Europe démagogique. Nous ne dirons rien pour le moment de l’Europe absolutiste. La lutte engagée entre l’Europe libérale et l’Europe démagogique, quant à elle, date déjà de deux ans. Elle a commencé en 1848, au mois de juin, dans les rues de Paris ; elle a continué en 1849, au 13 juin, à Paris encore, sur le boulevard de la Madeleine ; elle s’est poursuivie à Rome contre M. Mazzini, en Saxe et en Bade enfin contre les démagogues allemands. Vaincue en 4848, mais non pas domptée, la démagogie a de nouveau offert la bataille du 13 juin