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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/575

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n’en faut pour remplir la présente législature, commencée dans des conditions relativement très favorables, si on les compare à ce que l’état de choses antérieur pouvait à bon droit faire appréhender.


— Le Portugal est en ce moment travaillé par une dangereuse crise morale. Ce malheureux petit pays se fractionne, comme on sait, en trois partis politiques : le parti chartiste ou modéré, dirigé depuis sept ans par le comte de Thomar (l’un des Costa-Cabral) ; le parti septembriste ou démagogique, dont la direction flotte un peu au hasard parmi les membres de l’opposition parlementaire, et enfin le parti miguéliste ou absolutiste, dont le chef est toujours à Londres. Sous l’impulsion vigoureuse et homogène du comte de Thomar, le seul homme d’état vraiment remarquable que le Portugal ait produit dans ces derniers temps, le parti modéré a acquis dans les chambres une prépondérance qu’on ne songe même pas à lui contester ; mais le danger n’a fait que changer de place. Par cela même qu’ils sont sans direction réelle et qu’aucune prétention immédiate ne vient les diviser, en appelant chacun d’eux autour d’un drapeau distinct, les deux partis extrêmes se sont peu à peu confondus dans une étroite solidarité d’opposition. Par cela même encore que ces partis n’avaient aucune chance dans le parlement, c’est sur l’opinion qu’ils ont jeté leur dévolu, et ils comprennent à merveille leur terrain. Exploitant cette tendance qu’ont les masses, dans tout pays où l’esprit public n’est pas encore formé, à personnifier chaque système dans un homme, ils ont pris très habilement pour point de mire le principal représentant de la politique modérée. La croisade de calomnies organisée par les journaux septembristes et miguélistes contre celui-ci dépasse déjà toute mesure. En veut-on un échantillon ? Dernièrement, un ancien magistrat est décoré pour ses services ; le hasard veut que ce magistrat soit le créancier d’un carrossier qui, vers la même époque, a vendu à beaux deniers comptans une calèche au comte de Thomar, et vite on imprime que le ministre s’est fait donner une calèche pour prix d’une décoration. Tout le reste à l’avenant. Le comte de Thomar n’a pas cru manquer à sa dignité en opposant à ces étranges inventions les preuves les plus minutieuses et les plus formelles, et nous n’oserions lui en faire un reproche. L’honneur d’un homme d’état a d’autres exigences que l’honneur de l’homme privé, car la calomnie qui s’adresse au premier n’atteint pas que lui seul. À une époque récente, nous avons vu des attaques tout aussi odieuses et tout aussi niaises à la fois obtenir chez nous, auprès du peuple, un certain crédit, grace au dédain même qui en haut les protégeait. Le comte de Thomar a relancé la calomnie jusqu’à Londres, où le Morning-Post, qui s’en était fait l’écho, s’est vu obligé de rétracter ses accusations.

Tout impuissant qu’il est, ce dévergondage d’attaques n’en est pas moins pour le Portugal un symptôme très inquiétant. Une société est moralement bien malade, lorsque les plus impudentes accusations trouvent dans l’inertie de l’opinion assez d’encouragemens pour oser se produire ainsi au grand jour. Nous avons appris à nos dépens à quoi aboutit cette espèce de spleen social, moitié indifférence, moitié curiosité, qui n’accepte pas la calomnie politique, mais qui ne s’en révolte pas, qui ne veut pas la révolution, mais qui finalement la subit. Une société qui s’ennuie se prépare de terribles distractions, nous en savons