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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/587

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de l’argent, les rois firent des nobles dans la même pensée. Rien n’est plus curieux que de suivre de règne en règne la progressive élévation du prix des lettres d’anoblissement, devenue l’une des ressources ordinaires du fisc royal, comme nos passeports et nos ports d’armes.

On peut observer, sous les premiers Valois, les perturbations déjà profondes introduites au sein de cette grande fédération militaire par l’aliénation des fiefs, l’usage des anoblissemens et la formation des grands capitaux mobiliers. Des coups non moins sensibles y étaient portés d’un autre côté par ces chefs qui, à force de persévérance et d’adresse, étaient enfin parvenus à échanger leur pavois pour un trône héréditaire. La royauté française avait profité avec une entente admirable de toutes les circonstances qui l’avaient mise en mesure d’enfoncer ses racines, dans le soi de la patrie et d’étendre au loin son ombrage et ses rameaux.

La justice avait long-temps manqué à la société au milieu de ces luttes quotidiennes qui se renouvelaient sur tous les points du territoire, et les barons désertaient leurs tribunaux pour courir à l’ennemi. Ils ne paraissaient guère plus à la cour du suzerain qu’à leurs propres assises ; aussi les rois profitèrent-ils de leur négligence et de leur dédain pour substituer des légistes à leurs nobles conseillers. Introduits auprès de princes auxquels manquaient les premiers rudimens de l’instruction littéraire, ces légistes parvinrent à se rendre nécessaires et ne tardèrent pas à conquérir la confiance du suzerain par une aptitude au travail et une étendue de connaissances que faisaient ressortir encore la souplesse de leur conduite et la chaleur de leur dévouement. Tout le monde sait comment l’introduction du droit écrit vint faire de la justice une profession savante, et par quel concours d’heureuses circonstances les humbles baillis des domaines de la couronne se trouvèrent naturellement portés aux plus hautes charges de l’état.

Devenue le principal point d’appui de la royauté dans sa lutte contre l’aristocratie territoriale, la bourgeoisie naissante prit les mœurs que lui faisait sa condition : elle parut plus ’occupée de s’assurer la réalité du pouvoir que d’en conquérir les apparences, se montrant très humble en même temps que très résolue dans l’avancement de sa fortune et la poursuite de ses desseins. Vouée à l’extension de la puissance royale, par intérêt autant que par reconnaissance, elle seconda les rois dans leur politique, les excita dans leurs passions, et les servit trop souvent dans leurs vengeances. Ennemie naturelle de l’aristocratie féodale, elle observait aussi, avec une jalouse inquiétude, l’influence du clergé, car cette influence faisait concurrence à la sienne ; c’était d’ailleurs un obstacle à l’omnipotence qu’elle ambitionnait pour la royauté et qu’elle l’excitait incessamment à conquérir. Combattre la