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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/593

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judiciaires conservent seules, dans le désordre des mœurs, la confusion des idées, et au milieu des inquiétudes générales sur la fortune publique, des habitudes graves, un esprit de corps énergique et une longue suite dans leurs desseins, il est de toute évidence qu’il doit venir un jour où l’ascendant de ces corporations sera irrésistible.

Quoique le parlement eût abdiqué toute prétention politique depuis la fronde, qui lui avait si mal réussi, et où il s’était montré si inférieur à sa tâche, son influence s’étendait chaque jour sur le royaume au point de dominer toutes les autres. Les cours souveraines, ennemies de la noblesse d’épée, surveillantes jalouses du clergé et des avec ardeur dans le cours du XVIIIe siècle l’œuvre qu’elles avaient entreprise dès leur fondation. Toutes les juridictions inférieures s’inspiraient de la même pensée, et, depuis les clercs de la basoche jusqu’aux premiers présidens, plus de cinquante mille familles vivaient sous le même patronage et grandissaient à l’ombre des mêmes institutions. La double prérogative attribuée aux rois de France, selon le mot d’un spirituel contrôleur-général, de créer des charges à volonté et de trouver toujours des sots pour les acheter, avait amené la formation d’une classe intermédiaire que ces honneurs obtenus à prix d’argent séparaient de la roture sans la confondre avec la noblesse, qui s’obstinait à lui fermer ses rangs. La société de l’ancien régime était donc sourdement minée par les souffrances les plus aigus de l’amour-propre non moins que par l’effet des malheurs publics. Un concert tacite s’établit entre la plupart des magistrats du royaume, les propriétaires d’offices et de charges municipales, les banquiers, les traitans et les industriels, pour renverser un état de choses qui infligeait à leur vanité des blessures si gratuites et si profondes. Depuis cinquante ans, les chefs de la bourgeoisie financière et les gens de lettres côtoyaient la noblesse de trop près pour ne pas s’efforcer de renverser la barrière purement morale qui les séparait d’elle.

Les classes moyennes n’apportaient d’ailleurs dans leurs dispositions révolutionnaires aucune pensée de nivellement, et étaient fort loin de soupçonner la direction que prendrait par la suite le mouvement si vivement suscité par elles. On peut même dire qu’aucune portion de la vieille société française ne désirait peut-être autant que la bourgeoisie maintenir la distance qui la séparait du peuple, et qu’aucune n’était au fond plus jalouse gardienne de ses prérogatives et de ses privilèges. Ses mœurs autant que ses intérêts la rendaient absolument rebelle à l’égalité entendue dans le sens démocratique que nous lui attribuons aujourd’hui. L’égalité par en haut ne présupposait nullement pour elle l’égalité par en bas. La vie sociale était alors distincte et tranchée par les habitudes, par le costume comme par l’esprit des classes diverses