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simple et solide, marchant loin des sentiers d’exception dans la grande et royale route de la tradition et du sens commun.

La tradition et le sens commun ! C’est pour n’avoir pas tenu un compte suffisant de ces deux grandes règles que la pensée du XVIIIe siècle avait fini par se rétrécir et faire fausse route. Jalouse, à ce qu’il semble, de dater d’elle seule toutes les vérités comme tous les progrès, elle s’était séparée avec éclat de la philosophie de l’âge précédent, elle avait fait gloire d’ignorer et de mépriser les systèmes de l’antiquité et du moyen-âge ; à l’anathème ironique qu’elle jetait contre la métaphysique, elle avait allié un dédain non moins fier des croyances populaires, se composant ainsi une sagesse à son usage qui n’avait ni les hautes visées du génie philosophique, ni la certitude résolue de la prudence vulgaire. Éclairer et compléter la philosophie par l’étude impartiale et approfondie de son passé, régler les écarts du sens individuel en élevant le sens commun à la hauteur d’une méthode, et, par là, réconcilier la métaphysique avec l’opinion, telle est la double pensée sur laquelle M. Cousin appelle dès ses débuts avec une insistance croissante l’attention de ses contemporains.

On sait le nom qu’a reçu la tradition philosophique employée comme méthode dans la recherche de la vérité. Ce nom, c’est l’éclectisme. Que dire de l’éclectisme, qui n’ait été dit et redit cent fois depuis trente ans ? Suivant nous, le rôle de l’éclectisme a été utile, nécessaire, opportun ; nous sera-t-il permis d’ajouter qu’il ne l’est plus ? Ce sera l’honneur durable de M. Cousin d’avoir arraché la philosophie française à bout d’inventions au culte exclusif d’elle-même, pour mettre sous sa portée une partie des richesses de la pensée humaine, se développant à travers la diversité des civilisations et des époques. L’éclectisme, comme méthode, c’est l’érudition large, bienveillante, ne dédaignant aucun monument, aucun fait ; c’est, appliquée aux choses de l’esprit, cette tolérance éclairée et supérieure plus enseignée que pratiquée par le siècle précédent. En ce sens, l’éclectisme ne mérite que des éloges. Un écueil toutefois était dès-lors facile à prévoir. L’éclectisme ne perdrait-il pas de vue son but final et ses conclusions promises dans cette œuvre de reconstruction ? N’oublierait-il pas trop le présent pour le passé, la philosophie pour son histoire ? Cette crainte, je ne crois pas, pour ma part, que l’éclectisme l’ait démentie. Qu’il ait réussi à unir des faits psychologiques réputés à tort inconciliables ; qu’il ait complété la sensation de Condillac par l’idée de force, mieux aperçue et mieux étudiée par Leibnitz ; qu’il ait demandé à Platon d’utiles renseignemens sur les idées, à Descartes une vue plus claire du principe pensant, à Reid un plus grand respect pour les faits fondamentaux de la nature humaine et pour la foi naturelle, à l’Allemagne quelques inspirations qui ne l’ont pas toujours bien servi, cela me paraît incontestable,