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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/64

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avait démontré surabondamment que la négation du principe de substance équivaut à ne laisser subsister dans le monde physique et moral que des apparences sans réalité ; l’oubli ou l’atténuation de l’idée psychologique et rationnelle de cause avait conduit la métaphysique par des voies plus ou moins promptes à l’absorption du fini dans l’infini, du relatif dans l’absolu, du monde en Dieu : Benoist Spinosa et son école étaient là pour l’attester. Frayer sa route entre ces deux abîmes, retrouver pour ainsi dire appuyées l’une sur l’autre la causalité divine et la liberté humaine, faire descendre dans les esprits un peu de cette divine certitude qui se mêle aux ombres de l’humanité, voilà l’objet que poursuivit le réformateur de l’école philosophique. En distinguant l’unité et la variété, l’absolu et le relatif, le fini et l’infini, en montrant qu’il était contradictoire que l’infini et l’unité naquissent de la multiplicité, de la pluralité, de la nature ou de la sensation ; en établissant l’antériorité et la supériorité de Dieu au monde, des idées aux choses, du vrai, du bien, du beau aux réalités matérielles qui n’en sont que les copies et les enveloppes, et dans le monde moral, du droit au fait et des principes aux applications, M. Cousin put braver le matérialisme et le scepticisme qui l’accompagne ; mais il rencontrait dans l’ordre scientifique un adversaire tout autrement redoutable. On sent que nous voulons parler de Kant.

On a beaucoup parlé de l’influence de la philosophie allemande sur M. Cousin. Cette influence est bien moindre, à mon avis, sur les résultats définitifs de ses recherches que ne le fut celle de Platon et de Descartes. Platon, Descartes, Leibnitz, après la première influence écossaise, et toujours modifiés par elle, voilà ses grands maîtres. Je doute fort qu’il fût arrivé à ses théories sur la philosophie de l’histoire sans Hegel, et peut-être à cet égard pousserais-je la résignation jusqu’à m’en consoler, s’il ne fallait y perdre en même temps des pages où l’art ne trouve du moins qu’à louer Platon et Malebranche lui étaient, en métaphysique, des maîtres suffisans sans Schelling pour formuler sa théorie de la raison. Quoi qu’il en soit, suivons ce moment intéressant et si débattu de la carrière de M. Cousin.

Kant avait établi avec rigueur, décrit avec soin les principes régulateurs de l’intelligence, et il les avait ébranlés. Ces principes, qui expliquent tout si commodément, ne seraient-ils pas de simples conditions de l’intelligence, de pures formes de l’entendement, le cadre de nos perceptions, sans posséder d’ailleurs aucune existence indépendante du sujet qui les conçoit, aucune objectivité ? Telle est la question qu’il se pose. Donnant un tour plus dogmatique au scepticisme de son maître, Fichte contempla dans le moi pris pour centre et pour seul objet la nature et Dieu que le moi créait, suivant son énergique et téméraire expression, en vertu de sa propre et merveilleuse activité. Mal à l’aise et