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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/670

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VII

Après quelque séjour dans l’une de ses villas, Cicéron prit la résolution de revenir à Rome. Il eût bien voulu faire aussitôt sa paix avec César ; mais le vainqueur de Pompée s’oubliait dans les bras de Cléopâtre. Comme au plus fort des mauvais jours de 93, la grande ville offrait aux personnages consulaires compromis aux yeux des vainqueurs une retraite et une obscurité que la province n’aurait pu leur donner. — « La licence du glaive est partout ; cependant c’est sur les bords étrangers que les attentats se renouvellent le plus effrontément : voilà ce qui me fait rester à Rome. À l’exil, j’ai préféré ma famille et mon chez moi, si on peut dire d’ailleurs qu’il y a un chez soi dans les temps où nous vivons, et que quelque chose vous appartient. On mesure en ce moment toute la campagne de Veïes et de Capène pour la partager au peuple. Il n’y a pas bien loin de là à ma villa de Tusculum ; mais je ne veux pas m’en préoccuper, je jouis de ce qu’on me laisse jusqu’au dernier jour[1]. » Cicéron cependant avait déjà réussi à se faire pardonner sa courte apparition au camp, de Pompée ; peu à peu il rentrait en faveur auprès des puissans du jour. Les derniers Pompéiens qui venaient après lui implorer la clémence et la générosité du vainqueur trouvaient en lui un protecteur utile et chaleureux. Qui n’a admiré la célèbre harangue pour Marcellus, et cette incomparable éloquence qui n’est surpassée que par la généreuse clémence du vainqueur ? Ce fut une de ces grandes scènes comme l’antiquité nous en offre, et pour lesquelles me manquent malheureusement les comparaisons que je cherche dans les temps modernes. Marcellus s’était jeté aux pieds de César, le sénat se leva tout entier, comme un seul homme, tendant les bras vers le maître « César se sentit vaincu, mais moi, dit Cicéron, je fus plus vaincu encore par la magnanimité de César. C’est le premier beau jour dont nous sommes témoins depuis nos misères ; ce jour m’a paru si beau, que j’ai cru y voir comme une nouvelle aurore de la république. »

Dès ce moment, Cicéron renonça à la lutte, et, sans renier ses amis, se laissa prendre peu à peu à l’attrait de ce grand homme, « qui n’aime que les hommes supérieurs, en sorte que son amitié est une gloire. La résignation, cette triste et dernière vertu des vaincus, voilà la déesse dont Cicéron embrassa les autels. Il accepta le gouvernement de fait, comme, nous disons ; tout au plus si son opposition modeste et prudente s’échappait quelquefois en plaisanteries et en mots satiriques. Ces propos de table valaient ce que valent les épigrammes des journaux

  1. Lettres 463-476.