Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/679

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il ne divise, et de nos jours surtout on doit dire, au rebours d’Horace Oceanus sociabilis. On va en neuf heures de Paris à Londres ; il faut plus de temps pour franchir les monts qui s’élèvent entre la France et l’Espagne. La Péninsule ibérique est véritablement une île, et l’île de Bretagne est comme une péninsule que la vapeur rattache au continent. Les deux royaumes, si l’on excepte d’une part l’Andalousie et de l’autre l’Irlande, sont habités par un peuple grave et fier, calme et réservé, qui montre un égal sentiment de dignité contenue. Un singulier rapport existe entre ces deux pays : chacun d’eux a transporté« sa civilisation et sa nationalité dans le Nouveau-Monde ; une partie de l’Amérique est anglaise, l’autre est espagnole.

Les États-Unis, c’est une moitié de l’Angleterre, c’est l’Angleterre industrielle et commerçante, de laquelle on aurait retranché l’Angleterre aristocratique et féodale. Abattez la Tour et Westminster, ne laissez à Londres que la Cité et les docks ; renversez les antiques cathédrales ; déracinez les chênes séculaires de. Windsor et les cèdres de Blenheim ; abattez les murs des châteaux de Warwick et d’Arundel, et remplacez-les par des usines et des manufactures ; que les vieilles villes au caractère historique, York, Durham, Chester, Oxford, disparaissent ; que Manchester, Birmingham, Leeds, Sheffield, s’enveloppant de leur atmosphère de fumée, que Liverpool, étalant l’incroyable mouvement de, son commerce cosmopolite, restent seules debout, et vous aurez les États-Unis.

Au fond, les mœurs politiques des États-Unis ne diffèrent pas essentiellement des mœurs politiques de l’Angleterre. Le self-government précéda en Amérique le gouvernement républicain, qui n’en fut qu’un développement et une transformation. C’est le vieil esprit saxon qui règne encore de l’autre côté de l’Atlantique, sur ces bords où l’Angleterre projette son image à la fois élargie et diminuée. De même l’Espagne américaine offre une contre-épreuve fidèle de l’Espace d’Europe. Mon excellent compagnon de voyage, le docteur Roulin, qui avait vu la Nouvelle-Grenade avant de voir l’ancienne, était frappé à tout moment de cette ressemblance, et, dans un pays nouveau pour lui, retrouvait un pays connu. L’Espagne et l’Angleterre ont donc eu toutes deux le privilège de se reproduire et de se redoubler pour ainsi dire sur le sol du Nouveau-Monde, destinée commune qui les rapproche par un endroit, tandis, que tant de différences les séparent.

C’est de ces différences que je voudrais donner au lecteur le vif sentiment, tel que je l’ai éprouvé à chaque pas. Les plaines poudreuses et nues de la Castille et de la Manche ressemblent peu aux grasses prairies du Hampshire, les rives arides du Mançanarez aux bords verdoyans de l’Avon, et le soleil africain de l’Andalousie à cet astre si souvent dépouillé de rayons qui éclaire de son disque pâle une terre brumeuse.