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conviendra, que celui qui attire, de la part de cette même Allemagne à la philosophie française, le reproche de trop s’enfermer dans la psychologie, et fait dire aux disciples de Saint-Simon et des écoles analogues, panthéistes ou athées, ce qui, en morale, est absolument la même chose, que le Dieu du spiritualisme psychologique et de M. Cousin est le Dieu des enfans et des femmes, le Dieu qui récompense et punit, le Dieu de la vie future, proposition qui fait sourire, comme on peut le croire, ces grands esprits ? Le spiritualisme accepte le reproche. Il peut hardiment présenter le Dieu qu’il conçoit à l’adoration du peuple, dont il ne se distingue pas, quoi qu’on en ait dit, dans cette commune adoration. Le Dieu de la philosophie n’est pas seulement le Dieu réservé des savans, c’est celui des masses. À l’athéisme du XVIIIe siècle, ou au déisme desséché de la plupart de ses philosophes, M. Cousin n’a pas prétendu substituer un Dieu indifférent, un Dieu pour qui l’humanité est comme si elle n’était pas. Le Dieu qu’il conçoit n’est pas seulement le souverain intelligible, c’est l’être souverainement adorable, c’est le modèle infini de toutes les perfections vers lesquelles tend l’humanité dans son éternelle aspiration, capable d’en approcher toujours davantage sans les réaliser jamais absolument : idéal toujours présent à l’intelligence et à l’activité, type et père de la vie, consolateur et vainqueur de la mort. Le spiritualisme psychologique ne déshérite l’humanité d’aucune de ses nobles croyances. Obscures, il cherche à les éclaircir ; vraies, il les démontre. Pour lui, le désir et la pensée se répondent, le monde moral est une harmonie.

Ainsi, contre le matérialisme, une solution, renouvelée et agrandie, du problème de l’origine des idées ; contre le scepticisme, le caractère de la vérité absolue restitué à la raison pure, contrairement au sensualisme français et au kantisme ; contre le fatalisme, le moi défini par l’activité libre ; contre l’athéisme, l’idée de Dieu rétablie dans la métaphysique sur le fondement de la raison et de la conscience ; pour méthode, la psychologie, le sens commun, l’histoire comparée des systèmes : voilà les grands résultats dont M. Cousin nous a mis en possession. Sa théorie morale et sa théorie de la société n’en sont qu’une application plus particulière et plus précise.


II

Est-il vrai que la raison soit dans une naturelle et irrémédiable impuissance de distinguer par elle-même le bien et le mal ? Est-il vrai que la philosophie soit incompétente à parler aux hommes avec quelque autorité et de leurs droits et de leurs devoirs, que, suivant elle, chacun puisse faire sa morale, constituer sa loi, c’est-à-dire, en définitive, abolir toute loi et toute morale ? Si cette accusation portait juste,