Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/699

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et la loi, qu’elle est assise sur une base inébranlable, et que, retranchée dans son île, derrière le rempart de ses mers, elle peut, — comme disait superbement Canning, — Eole politique, déchaîner les tempêtes sur le monde sans être ébranlée ; mais, en y regardant de près, on aperçoit bien des fentes qui lézardent l’édifice séculaire, si majestueux au premier coup d’œil et si solide en apparence. Il n’y a pas, je le crois, de danger prochain pour l’Angleterre ; mais n’y a-t-il pas un danger éloigné et un danger formidable ? Cette puissance extérieure à laquelle sa grandeur commerciale est liée est-elle bien assise ? Cet empire de l’Inde, déjà si démesuré et qu’une fatalité invincible agrandit toujours davantage, ne finira-t-il pas par rencontrer à l’Occident un autre empire que la fatalité semble pousser vers l’Orient. Ces populations nombreuses que l’Angleterre contient par la force, mais dont elle n’a pu entamer ni la religion ni les mœurs, aidées d’un appui étranger, ne peuvent-elles se soulever du cap Comorin jusqu’a l’Himalaya ? La révolte de Vélore, qui mit en péril la domination anglaise dans l’Inde, est-elle si ancienne ? Voici que le Cap repousse, les convicts que lui envoie la métropole, voici que les îles Ioniennes ne sont contenues que par les supplices, voici que le Canada commence à demander l’annexion aux États-Unis. Depuis l’invention de la vapeur, l’envahissement de l’Angleterre, que, sans ce secours, Napoléon avait cru possible, l’est devenu bien davantage, et, en cas d’invasion, trois millions d’affamés se lèveraient en Irlande ; cette Irlande est une plaie sans remède. Le peuple anglais fait chaque jour de généreux efforts pour guérir le mal qu’il a causé, mais il semble que ses anciens torts sont inexpiables. En Angleterre même, à Londres et dans les villes manufacturières, il existe des misères qui surpassent toutes nos misères. Les classes supérieures font beaucoup pour les combattre, et me préserve le ciel de leur refuser cette justice qu’on ne leur rend pas toujours ! mais pourront-elles faire assez ? L’abîme que le prolétariat a creusé sous la société britannique pourra-t-il être comblé par les sommes énormes qu’on enfouit chaque jour ? Rien ne donne une plus haute idée du génie de la civilisation que les quartiers opulens de Londres ; mais il y a aussi à Londres les quartiers de la peste et de la faim. Le choléra a forcé de fouiller dans cette fange empoisonnée, et il en est sorti de terribles menaces et de formidables leçons. Chaque jour, des enquêtes courageusement faites par l’état ou entreprises par les particuliers, dans ce pays de publicité, révèlent des douleurs inouies. Un soir, après avoir visité dans la matinée les docks de Londres, encore ébloui de ce mouvement incroyable, de cette activité gigantesque ; j’ouvris le journal, et j’y lus l’histoire d’un homme qui venait de se pendre après avoir étranglé sa femme et ses trois enfans, parce qu’il n’avait pas de pain à leur donner. Autre danger moins redouté, mais aussi réel ! Un parti se forme en