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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/708

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à Rome, ou même de son voyage à Florence et à Venise. Il porte, dans tous les cas, la trace bien évidente de l’influence que les Vénitiens exercèrent sur lui. Cette influence est bien plus manifeste encore dans un tableau conservé à la galerie Colonne, représentant une scène du Décameron, et que l’on prendrait pour un Tintoret, si l’on ne considérait que la transparence brillante de la couleur, la richesse de la pâte, la vigueur et la solidité du clair-obscur. Ce tableau a dû être fait pendant le séjour même du peintre à Venise. Craignant toutefois que cette préoccupation trop exclusive de la couleur ne nuisît à la sévérité de son dessin, le peintre français se mit bientôt à étudier le Dominiquin. La force des expressions la vérité du dessin, le mérite de composition, qui distinguent plusieurs des ouvrages du Dominiquin, l’avaient il vivement frappé, et il alla jusqu’à proclamer la Communion de saint Jérôme, non pas le chef-d’œuvre de la peinture, comme on l’a avancé, mais l’un des trois plus beaux tableaux qui fussent à Rome à cette époque. Les deux autres étaient la Transfiguration de Raphaël et la Descente de Croix de Daniel de Volterre.

Il y avait dans l’église de Saint-Grégoire deux tableaux, représentant la Marche au supplice et la Flagellation de saint André. Le premier était du Guide, l’autre du Dominiquin. La foule des jeunes peintres étudiait ou copiait le premier. Poussin presque seul était au second. Le Dominiquin, méconnu, pauvre et mourant, ayant appris qu’un jeune homme copiait son tableau, et déclarait nettement qu’il le préférait à celui de son rival, se fit transporter dans l’église. Poussin le croyait mort, et le prenant pour un étranger, se mit à lui détailler avec feu les beautés de sa propre œuvre. Le Dominiquin embrassa cet ami inconnu qui venait de le venger de l’injustice de ses contemporains.

Une lettre sans date, adressée au chevalier del Pozzo, se rattache à ces premières années du séjour de Poussin à Rome ; elle nous le montre encore pauvre et déjà attaqué de la maladie cruelle qui ne le quitta plus. « Je m’enhardis à vous écrire la présente ne pouvant point venir vous saluer à cause d’une infirmité qui m’est survenue, pour vous supplier humblement de m’aider en quelque chose. Je suis malade la plupart du temps, et n’ai aucun autre revenu pour vivre que le travail de mes mains… J’ai dessiné l’éléphant dont il m’a paru que votre seigneurie avoir envie, et je lui en fais présent. Il est monté par Annibal et armé à l’antique. Je pense tous les jours à vos dessins, et j’en aurai bientôt fini quelqu’un. » Poussin se serait-il souvenu de ses mauvais jours ; en composant plus tard son Repos dans le Désert[1] ? et l’éléphant qu’il a mis dans le paysage serait-il le même que nous venons

  1. C’est le tableau gravé par Morghen. Il est maintenant chez M. Forcade à Marseille, venant de la galerie Fesch.