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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/715

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peinture facile et brillante avait gardé tout son prestige aux yeux du public. Vouet était avide d’argent, peu délicat sur les moyens qu’il employait, et bien décidé à ne pas se laisser enlever une place qui lui rapportait honneur et profit. Il organisa contre Poussin ce qui pouvait le mieux lui réussir contre un tel homme, une guerre de chicanes qui lassa le grand artiste, mais ne laissa au peintre médiocre qu’une victoire honteuse dont il ne jouit pas long temps[1].

Poussin arriva à Paris dans les derniers jours de l’année 1640. M. de Noyers l’attendait avec impatience et le reçut avec de grandes démonstrations d’estime et d’amitié. Il le présenta aussitôt au cardinal de Richelieu, qui « l’embrassa, dit Félibien, avec cet air agréable et engageant qu’il avoit pour toutes les personnes d’un mérite extraordinaire, » Les prévisions fâcheuses qui avaient tant obsédé Poussin semblent s’être totalement évanouies pendant un instant ; et c’est avec une joie d’enfant qu’il raconte au cardinal Antonio del Pozzo, frère de son protecteur, le bon accueil qu’on lui a fait, et donne mille détails puérils sur sa maison des Tuileries. « Je fus conduit le soir par son ordre (de M. de Noyers) dans l’appartement qui m’avoit été destiné. C’est un petit palais, car il faut l’appeler ainsi. Il est situé au milieu du jardin des Tuileries ; il est composé de neuf pièces en trois étages, sans les appartemens d’en bas, qui sont séparés. Ils consistent en une cuisine, la loge du portier, une écurie, une serre pour l’hiver, et plusieurs autres petits endroits où l’on peut placer mille choses nécessaires. Il y a en outre un grand et beau jardin rempli d’arbres à fruit, avec une grande quantité de fleurs, d’herbes et de légumes ; trois petites fontaines, un puits, une belle cour dans laquelle il y a d’autres arbres fruitiers. J’ai des points de vue de tous côtés, et je crois que c’est un paradis pendant l’été… — En entrant dans ce lieu, je trouvai le premier étage rangé et meublé noblement, avec toutes les provisions dont on a besoin, même jusqu’à du bois et un tonneau de bon vin vieux de deux ans… J’ai été fort bien traité pendant trois jours avec mes amis, aux dépens du roi[2].

Nous ne craignons pas de pénétrer dans ce que beaucoup de lecteurs appelleront peut-être les minuties du caractère de ce grand homme. Poussin aimait le bruit de l’eau, et il parle de ses fontaines ; il aimait l’ombre des arbres, et peut-être même leurs fruits, et il parle de son jardin. On sait pour quelles misères nous avons changé ces puérilités ! Rien ne manque à ces hommes d’élite du XVIIe siècle. Ils ont à la fois les puérilités que nous venons de voir et « les heures d’élection » dont parle quelque part Poussin ; ils embrassent la vie dans sa notion

  1. Vouet mourut en 1641, suivant Félibien. Il nous parait probable que ce ne fut que plus tard, peut-être seulement en 1648.
  2. Félibien, IV, 27.