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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/718

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bleaux (la Cène, maintenant au Louvre, avait réussi au-delà de ses espérances), désarmeraient ses ennemis, ou tout au moins le défendraient devant ses protecteurs et les personnes compétentes sans qu’il eût à s’en mêler ; mais il devint évident que les calomnies ridicules mises en circulation par Vouet et par ses amis étaient arrivées jusqu’au roi, et que le cardinal ni même M. de Noyers ne défendaient plus leur protégé avec la même ardeur qu’auparavant. Poussin fit un mémoire où il démontrait à la fois l’absurdité des accusations portées contre lui et la sottise de ses ennemis. Ce mémoire, dont il ne nous reste malheureusement que des fragmens, est un chef-d’œuvre d’élévation, de vigueur, de clarté ; et il est incroyable qu’il n’ait pas convaincu les moins clairvoyans. Poussin pulvérise les argumens de ses adversaires, et il expose les siens propres avec une force et un feu qui étonnent chez un homme « dont ce n’est pas le métier de savoir bien écrire, » et qui « a vécu avec des personnes qui ont su l’entendre par ses ouvrages[1]. » Toutefois ce mémoire ne tira point Poussin des mille tracas qu’on lui faisait, car, au printemps de 1642, il écrit à M. de Chantelou : « Je ne saurois bien entendre ce que monseigneur désire de moi sans une extrême confusion, d’autant qu’il m’est impossible de travailler en même temps à des frontispices de livres, à une Vierge, au tableau de la congrégation de Saint-Louis, à tous les dessins de la galerie, enfin à des tableaux pour des tapisseries royales. Je n’ai qu’une main et une débile tête, et ne peux être secondé de personne ni soulagé. »

Poussin regrettait tous les jours davantage de s’être engagé dans une affaire qu’il ne voulait pas rompre et qu’il ne savait comment délier. Il se décida à demander un congé pour aller chercher sa femme qu’il avait laissée à Rome ; il partit à la fin de septembre 1641. Les ennuis qu’il venait de subir semblent lui avoir dicté le sujet du dernier tableau qu’il ait fait à Paris, qui représente le Temps emportant la Vérité pour la soustraire à l’Envie et à la Calomnie. Poussin ne devait pas revenir à Paris, mais sa correspondance prouve d’une manière péremptoire[2] qu’il ne comptait rester à Rome que peu de temps, que son but principal était bien d’en ramener sa femme, et qu’il n’y a jamais eu dans cette demande de congé la perfidie et la mauvaise foi qu’on y a voulu voir.

Il ne nous reste des travaux faits pour la galerie du Louvre qu’une partie des dessins représentant la vie d’Hercule. Les monumens réels que Poussin a laissés à Paris du séjour qu’il y fit sont les trois tableaux que nous avons déjà nommés : le Baptême, la Cène et le Saint Xavier. Le Baptême, ouvrage très soigné, dans la manière ordinaire de l’au-

  1. Voyez Félibien, IV, 41.
  2. Correspondance, p. 217.