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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/72

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pénètre dans le cœur même, passe des idées à la conduite et la gouverne sans l’asservir.

Qu’on nous pardonne d’insister sur ces points presque techniques. À nos yeux, ils sont décisifs, et, sous le nom de l’illustre philosophe qui les a constamment soutenus, démontrés, on sait avec quelle force et quelle éloquence, ce n’est pas moins que la question vitale de la civilisation moderne et de l’avenir que nous croyons poser et agiter. Il nous semble que ces pensées peuvent à la fois satisfaire et peuvent seules réconcilier et ces esprits sévères qui voient surtout dans la vie un saint effort, une épreuve laborieuse, et ces ames enthousiastes qui ont fait du progrès la foi ardente de leur pensée. Au fond de cette doctrine, en effet, ne retrouvez-vous pas le grand principe religieux de l’expiation et de la souffrance ? L’expiation marche à la suite du mal ; la souffrance est la loi d’un être libre, imparfait, perfectible : libre, il faut à l’homme des occasions d’exercice ; il les faut, pour qu’il conserve sa liberté, il les faut pour qu’il la développe ; imparfait, le mal à quelque degré est la condition de son existence ; perfectible, il a besoin d’un aiguillon. Sans l’ignorance et l’erreur, quel stimulant à la science ? Sans le mal moral, où sont les combats qui fortifient, élèvent, fécondent l’ame ? où est le perfectionnement, où sont la dignité, la grandeur, la vertu ? Sans le mal physique, comme stimulant, que devient l’industrie ? que devient la civilisation ? Le monde entièrement exempt de mal, c’est l’homme réduit à une condition inférieure, c’est la liberté dégradée, c’est le règne absolu de Dieu ou le règne absolu de la matière, c’est l’humanité détruite. Le mal progressivement diminué par le travail, par l’effort, dans l’ame de l’homme, dans la nature, dans la société, est le triomphe au contraire de cette même liberté ; c’est l’humanité se mettant, par le libre usage des dons qu’elle a reçus, en possession d’elle-même et du monde. Ainsi, sous la condition et par la loi même de la lutte, s’allient dans une pacifiante harmonie la volonté bienfaisante de Dieu et l’active volonté de l’homme. Ainsi, le spiritualisme, loin de repousser le progrès, le glorifie ; loin de le nier, il l’explique. Il n’en retranche que les bases fausses ; il n’en repousse que les idées énervantes et humiliantes ; il n’en supprime que l’utopie. Voilà le flambeau moral qui, du sein de la conscience individuelle, projette sa lumière sur la société civile.

Le droit naturel occupe et devait occuper une place considérable dans les écrits de M. Cousin. C’est ici surtout qu’éclate l’impuissance du matérialisme, qui s’étale ou se cache dans les écoles révolutionnaires. Sous une forme ou sous une autre, monarchie ou république, le matérialisme ne peut établir que le règne de la passion ou l’empire de la force. Anarchie ou despotisme, voilà son alternative, sa double solution au problème de la conciliation de la liberté et de l’ordre. Chose