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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/751

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ainsi dire ; tout ce qui appartient aux institutions, aux coutumes, au gouvernement est anglais ; tout ce qui est instinctif, tout ce qui est de l’individualité humaine est américain. Un mauvais présage pour l’Angleterre !

Nous passerons par-dessus le Sac aux lettres ou la Vie dans un steamer, livre inférieur et qui ne répond pas au but que l’auteur s’était proposé, pour aller droit à Sam Slick. M. Philarète Chasles nous a fait connaître les opinions de Sam Slick à une époque où il n’était que simple marchand d’horloges. Sain Slick est aujourd’hui attaché d’ambassade près le cabinet de Saint-James. C’est un grand personnage, et qui sent bien toute son importance. O Sam Slick, quel beau type de démocrate vous êtes ! L’ancien horloger a toujours les mêmes ruses, les mêmes audaces, le même scepticisme à l’endroit des hommes ; mais il n’a plus cette naïveté qui brillait au milieu de toutes ces ruses et de tout ce scepticisme. Aujourd’hui Sam Slick est factice, il sent le parvenu. Il est grossier et cassant. Lui qui autrefois était si diplomate et si subtil ; qui ne disait jamais rien en l’affirmant, et qui calculait toujours, maintenant il affirme toujours et il ne calcule plus rien, même ses expressions ; il est d’une grossièreté insigne. Lord John Russell s’appelle pour lui Johnny Russell ; il a dîné la veille chez Norfolk ou chez Russel. Un républicain comme lui se garderait bien de mettre devant le nom propre la qualification de comte et de duc. Dans ce livre, les deux anciennes qualités de Slick commencent à devenir de monstrueux défauts ; son chauvinisme et son bavardage s’enflent outre mesure. Nous craignons bien que ces deux défauts de Slick ne soient les deux caractères grandissans des États-Unis. Les Américains du nord commencent à parler beaucoup, et, à l’heure qu’il est l’antique race saxonne commence à se diviser, non plus d’intérêts, mais de caractère. L’Américain n’a plus rien conservé de l’antique Angleterre. La respectabilité anglaise, la dignité protestante y ont complètement disparu ; l’Amérique ne conserve plus les traditions morales de l’Angleterre ; ce grand pays silencieux, comme l’appelle un éminent écrivain anglais. Les Américains ne sont plus silencieux du tout ; ils parlent infiniment. Leur vie n’est plus intérieure comme celle des Anglais, qui a su rester telle malgré le plus fort régime de liberté dans lequel l’homme ait été appelé à vivre ; elle devient tout extérieure, toute de place publique et elle rend les qualités et les défauts de la place publique ; leur caractère s’en ressent ; ils deviennent rusés, sournois, railleurs, hélas ! et même fourbes. Nous ne hasardons rien ; tout cela ressort beaucoup trop des livres d’Halliburton et de tous les récits que les voyageurs européens nous ont envoyés dans ces derniers temps. Le dieu Dollar commence à prendre la place du dieu du calvinisme.

Sam Slick est très amusant pourtant encore avec son chauvinisme