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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/771

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de Milosch. Il en a fait un vif tableau dans lequel les fautes de ce prince ne sont point ménagées, parce que la vérité le voulait ainsi. Le prince Michel accuse M. Robert d’injustice.

Du point de vue littéraire, nous nous bornerons à une seule observation. Le prince Michel a cherché l’énergie dans la violence des expressions. La violence est toujours inutile dans une langue comme la nôtre, où l’écrivain, pour rendre les passions les plus virulentes, a la ressource des formes les plus délicates et des nuances les plus variées.

Aussi bien, ce qui mérite l’attention dans l’écrit du prince Michel, ce sont moins les anecdotes qu’il allègue de l’héroïsme et de la prudence de son père, que les vues secrètes de l’écrivain, ses ambitions, son esprit politique. Le courage et la sagacité de Miloscb, personne n’en a jamais douté. Pour que l’humble porcher des forêts serbes devînt, à la manière d’Agamemnon, un pasteur d’hommes, il lui a fallu une nature qui fût au-dessus du vulgaire, pour que de l’état de servitude et de misère où il a passé sa jeunesse, il ait pu s’élever au trône de Servie, il a dû déployer des qualités qui ne sont point à la portée des intelligences communes. Nous sommes prêts à reconnaître avec le prince Michel cette vigueur d’esprit et cette valeur brillante qui ont donné à Milosch un rôle si influent dans l’histoire contemporaine de son pays. Qu’il nous soit permis cependant de faire quelques réserves. D’abord cette fierté de courage et cette pénétration qui furent les dons incontestables de cette nature originale ne sont point aussi rares en servie que le prince Michel essaie de le faire croire. Tserni-George, sans avoir l’habileté rusée de Milosch, a montré une bravoure beaucoup plus éclatante. Sous ce rapport, Milosch a eu des supérieurs et beaucoup d’égaux. La Serbie est une pépinière de soldats. La poésie simple et forte, naturelle au peuple serbe, jetant sûr ces caractères un reflet des temps primitifs, les revêt volontiers d’une apparence tout homérique. Milosch, à cet égard, ne peut prétendre à être une exception. D’ailleurs, quel usage a-t-il fait de son pouvoir ? Où conduisait-il son pays Au despotisme au dedans, à l’asservissement au dehors. Il était de ceux qui, aveuglés par un patriotisme inintelligent ; voulaient bouleverser l’Orient, et livraient ainsi fatalement la Turquie aux Russes. Le mouvement populaire et vraiment national par lequel les Serbes se débarrassèrent, en 1842, de la dynastie de Milosch, en élevant au trône le fils de Tserni-George, donna un haut témoignage du bon sens de ce petit peuple. Par des erremens analogues à ceux des Hellènes, les Serbes avaient été long-temps les ennemis du sultan ; sous l’influence de la dynastie de Milosch, ils étaient devenus des alliés de la Russie. Ils prenaient d’eux-mêmes une direction tout opposée en appelant au pouvoir suprême le Prince Alexandre Georgewitch. Au prix de quelques concessions, ils mettaient aux pieds du sultan l’hommage de leur vassalité, ils lui apportaient leur belliqueux dévouement.

L’on sait que Milosch avait abdiqué dès 1839 ; pour ne point courir le risque d’être expulsé directement par voie d’insurrection populaire. Ses fils Milan et Michel ont régné après lui ; c’est sur ce même prince Michel qu’a éclaté, en 1842, l’orage formé sur la tête de son père, dont il n’a d’ailleurs cité sur son trône que l’instrument. Le peuple serbe s’est fait justice d’accord avec le sultan et malgré la Russie, qui, on se le rappelle sans doute, ne voulant pas reconnaître l’élection du prince Alexandre, exigea une contre-épreuve. Cette contre-épreuve