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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/784

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la même vénération reconnaissante pour son tuteur et là même tendresse pour les deux charmantes sœurs qui l’accueillaient les larmes dans les yeux, il avait senti d’année en année des idées nouvelles prendre dans son esprit la place des principes dont son enfance avait été nourrie. Le jour où le marquis apprit l’issue fatale du voyage du roi Louis XVI à Varennes, prévoyant l’effort désespéré par lequel la noblesse bretonne devait signaler son dévouement à ses religions attaquées, il rappela subitement son pupille : Hervé obéit et revint à Kergant. — Il y vécut quelques mois dans de cruelles angoisses d’esprit, entre les puissans souvenirs de son cœur et les profondes convictions de son intelligence. Puis il prit sa résolution et partit secrètement pour Paris. Peu de temps après, M. de Kergant apprenait par une lettre respectueuse que le fils du comte de Pelven servait comme volontaire dans les troupes de la république. — À partir de ce jour, bien que Mlle de Pelven pût remarquer dans la conduite de son tuteur envers elle un redoublement d’égards et de bienveillance, elle n’osa plus prononcer le nom de son frère, aimant mieux le voir oublié qu’outragé. Les autres habitans du château observèrent strictement la même réserve, témoignant tous ainsi une égale réprobation pour le parti qu’avait pris Hervé, bien que ce sentiment empruntât des nuances distinctes aux idées et au caractère de chacun. Le marquis considérait absolument le fils de son ancien ami comme un renégat et comme un félon, qui, également traître à Dieu et au roi, ne méritait de pardon ni en ce monde ni en l’autre. Mme de Kergant, la chanoinesse, voyait apparaître, dans le champ étroit et fantasque de ses préjugés, l’ancien pupille de son frère sous les formes les plus inouies : elle le voyait brandissant une pique qui se terminait par une tête saignante ; elle le voyait revêtu d’une carmagnole extraordinaire et dansant sans aucune méthode des ça ira inconvenans sous des lanternes humaines ; elle le voyait enfin courant le guilledou sous l’étrange costume qu’elle prêtait aux sans-culottes, prenant au pied de la lettre cette dénomination politique.

Pour la jeune Bellah, il existait ad milieu des révolutionnaires un homme né avec les plus nobles qualités, mais égaré jusqu’au crime et frappé d’un vertige sans nom ; elle éprouvait une telle horreur pour cette désertion de tous ses autels domestiques, que jamais la flère enfant n’osa ni ne voulut, dès ce moment, mêler le nom du traître aux plus secrets murmures de ses prières. Peut-être espérait-elle au fond de l’ame que Dieu daignerait lire ce nom proscrit dans ses yeux humides. Aussi bien Mme de Kergant avait une habitude innocente qu’on retrouvera chez quelques femmes trop chastes pour relever leurs charmes par les plus simples artifices de la coquetterie, mais assez femmes encore pour conserver l’instinct de leur beauté. Jamais ses