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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/786

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nua de déployer, le demi-soupçon qui pesait sur lui le retint dans le commandement où ses premiers pas l’avaient élevé, commandement qui, à cette époque de rapides fortunes comme de chutes profondes, pouvait paraître subalterne à un jeune homme de mérite et de courage.

L’ennui de cette situation douteuse acheva d’assombrir le caractère de Hervé, qui s’était senti envahir dès long-temps par une invincible mélancolie. La fièvre d’enthousiasme qui avait en même temps inspiré et soutenu sa généreuse résolution s’était apaisée, une fois le sacrifice accompli ; car la nature, en permettant aux fibres de l’ame humaine de se tendre jusqu’aux tons aigus de l’enthousiasme, a limité la durée possible de cet effort, qui userait la vie en se prolongeant. Il ne restait à Hervé que le calme soutien d’une conviction élevée et ferme : c’était assez pour qu’il ne se repentît point, trop peu pour qu’il fût heureux. Il est donné à un petit nombre d’ames de trouver un bonheur qui leur suffise dans la mâle nourriture des idées, de la raison et des faits. La plupart ont besoin d’une sorte de superflu délicat qui, pour elles, est aussi le nécessaire. Trop faibles peut-être, il leur faut de temps en temps chercher un refuge et puiser de nouvelles forces dans des distractions d’une nature moins sévère ; douées peut-être aussi d’une organisation plus exquise, elles unissent à leurs aspirations viriles des penchans plus tendres qui veulent également être satisfaits.

Hervé n’avait connu toute la valeur de son sacrifice qu’après l’avoir consommé. Alors seulement ses sentimens, dégagés du tumulte de ses irrésolutions, lui étaient apparus dans toute leur sincérité. Il s’était aperçu, à la fidélité implacable de sa mémoire, de l’impression plus que fraternelle que les traits de Mlle de Kergant lui avaient laissée comme un souvenir vengeur. Quand même Hervé eût assez peu connu le caractère de Bellah pour conserver des doutes sur la façon dont elle devait apprécier sa conduite, les lettres d’Andrée l’auraient suffisamment édifié à ce sujet. Non-seulement MUE de Kergant n’ajoutait jamais aux lettres de son amie un mot de politesse pour l’homme qui avait été si long-temps son frère, mais il était de plus évident qu’Andrée elle-même se trouvait liée sur ce point par d’inflexibles prohibitions. C’est de quoi Hervé pouvait juger par la concision de cet invariable post-scriptum : « Bellah va bien. » Une seule fois Andrée osa étendre les limites de ce cruel bulletin, et à la suite de la formule habituelle : « Bellah va bien, » Hervé eut l’étonnement de lire ces mots : « Elle est belle comme une sainte. » On ne saurait dire pourquoi ce petit supplément, qui était bien d’une femme, irrita Hervé au point qu’il commença à prendre pour de la haine le sentiment violent que la pensée de Mlle de Kergant soulevait dans son cœur.

Cependant le 9 thermidor rendit le général Hoche à son pays. Ap-