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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/791

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BELLAH.

des uniformes qui ondulait en suivant les détours des sentiers, l’aspect gracieux de la cavalcade féminine, les voiles flottans, les plumes blanches que le vent agitait sur le léger feutré des amazones, cette vie, ce mouvement et ces couleurs dans ce site sauvage offraient une scène d’un intérêt pittoresque qui n’échappa point aux deux officiers. — Voyez donc, Pelven, s’écria Francis, ne vous faites-vous pas à vousmême l’effet d’un enchanteur qui emmène captive une nichée de princesses, avec la reine douairière, s’entend ?

— Je me ferais plutôt l’effet d’un enchanté que d’un enchanteur, répliqua Hervé. Je vous dirai de plus, Francis, que je n’aime pas ce pays perdu ; je n’ai qu’une confiance très bornée dans notre guide ; c’est, à sa façon, un très honnête homme, mais royaliste comme le tigre royal lui-même. Je vous prie de le surveiller. Tenez, par exemple, que fait-il là-bas, je vous le demande ?

Le garde-chasse suivait alors la corniche d’une lande coupée à pic sur sa droite, et s’arrêtait de temps en temps pour pousser du pied des fragmens de rocher dans l’abîme invisible de la vallée.

— Mais, dit Francis, à ce qu’il me paraît, le citoyen Kado se divertit de la plus innocente façon..

— L’innocence même du divertissement m’est suspecte, reprit Hervé. Un homme d’une physionomie et d’un caractère aussi graves ne se livre point sans raison à des jeux d’enfant. Tenez, il écoute à présent ; il vient de pencher la tête du côté du précipice.

— Bon ! il écoute le bruit de ses pierres qui ricochent de rocher en rocher. Je vous dis que ce digne sauvage a le goût des plaisirs simples…

— Silence ! interrompit Hervé, en touchant le bras du jeune lieutenant. N’avez-vous pas entendu ?…

— Entendu quoi ?

—On a sifflé, et j’ai vu le guide échanger un coup d’œil avec la chanoinesse.

— J’ai bien entendu en effet quelque chose comme un sifflement ou comme le souffle du vent dans les bruyères. Quant à l’œillade entre la chanoinesse et le Sauvage, je l’ai perdue et je la regrette ; mais, en vérité, commandant, je ne comprends rien à vos appréhensions. Ne sommes-nous pas suffisamment protégés par la présence de votre sœur ? Pouvez-vous supposer qu’elle ait trempé dans un complot dont son frère serait la première victime ?

— Elle pourrait n’en rien savoir.

— Et puis, j’ai beau considérer la tête poudrée de la chanoinesse, je vois bien qu’elle ressemble à une enseigne de marchand de cannes sur laquelle il a neigé, mais je ne saurais croire qu’il y puisse germer une idée sanguinaire.

— La vieille dame est madrée, lieutenant, quelle que puisse être sa