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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/796

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après avoir donné au détachement l’ordre de reprendre la marche, rejoignit son ami. — Vous aviez raison, commandant, dit-il, ce n’est pas une femme ordinaire ; sa voix a je ne sais quelle sonorité pénétrante qui surprend l’ame. J’admire que vous ayez pu lui répondre. Moi, j’aurais pris la fuite.

— Elle me hait, murmura Pelven, elle me hait, et, ce qui est pire, elle me méprise.

— Qu’elle ne vous aime pas, commandant Hervé, cela se peut, quoique le contraire soit possible aussi ; mais Eh bien ! qu’est-ce qui

prend au guide ? Le voilà qui fait des signes de croix à tour de bras.

— Quelque superstition bretonne ! dit Hervé. S’étant alors approché du guide, il crut l’entendre prier à voix basse, et il le vit porter avec ferveur à ses lèvres les médailles d’un énorme chapelet. Étonné de cet accès subit de dévotion, le jeune homme posa doucement sa main sur l’épaule du guide, qui tressaillit. — Pardon, mon ami, dit Pelven ; mais ce chemin est difficile, et nous avons besoin de tout votre zèle. Le moment est mal choisi pour vous absorber dans vos prières.

— Ce n’est pas au fils de ceux qui dorment là-bas, répondit gravement le Breton en étendant la main vers le château ruiné, de dire qu’il n’est pas bon de prier, quand on descend dans la vallée de la Groac’h.

— Vous savez, Kado, que je n’ai jamais habité cette contrée : j’ignore absolument les mystères de cette vallée, dont j’entends le nom pour la première fois.

— C’est un mauvais temps, mon maître, dit le garde-chasse avec une sorte d’emphase solennelle, quand l’oiseau s’égare dans le buisson où son père et sa mère ont chanté sur son nid.

— Kado, interrompit Hervé avec sévérité, nous avons été amis autrefois ; ne me le faites pas oublier. Je vous demande si cette vallée présente quelque danger particulier, pour que vous jugiez bon de le conjurer ?

— Ce vallon est hanté, dit Kado en baissant la voix et en approchant le chapelet de sa bouche.

— Que ne preniez-vous une autre route ? N’accusez que vous de vos ridicules frayeurs.

— Je n’éprouve point de frayeur, répondit le Breton… J’ai traversé seul, la nuit, bien des vallons hantés, et je n’ai jamais eu peur. Ma conscience est entre eux et moi. Celui dont la conscience est tranquille, les pierres ne dansent pas devant lui. Laissez-moi prier, monsieur Hervé, car je ne prie pas pour moi.

— Et pour quel criminel priez-vous donc, maître Kado ?

Cette question était adressée sur un ton de colère et de menace que le guide sembla dédaigner, car il répondit aussitôt sans aucun trouble,