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sous le rapport oratoire, un des plus féconds en vérités d’un ordre supérieur, sinon un des plus purs d’erreurs et d’exagérations comme doctrine. Bien de l’arbitraire, sans doute, se glissait dans ces généralisations si hardies et si hautes, et la réalité dans son jeu varié et compliqué dérange plus d’une fois l’imperturbable régularité de cette logique qui s’impose si fièrement de par l’autorité d’une irrésistible éloquence. Ces thèses fameuses sur l’infini, le fini et leur rapport, et sur les époques historiques qui rigoureusement y correspondent, cette nécessité éternelle de la guerre, cette périodicité presque fatale des systèmes philosophiques et des événemens humains, il me paraît plus aisé et peut-être plus consolant et plus doux de les admirer sous la plume de l’écrivain que d’y ajouter foi. Quoi qu’il en soit, demandant à la philosophie l’explication de l’histoire, interrogeant à sa lumière l’Orient, la Grèce, Rome, le moyen-âge, les temps modernes, le rôle des lieux, des peuples, des grands hommes, M. Cousin touchait avec grandeur, en les résolvant quelquefois, à tous les problèmes, et scellait cette alliance de la philosophie et de l’histoire éclairées l’une par l’autre, qui allait si bien à l’esprit du XIXe siècle.

Dans son cours de 1829, vaste tableau de la succession des écoles depuis les temps les plus anciens jusqu’au XIXe siècle, qui donne à la grande idée de l’identité de l’esprit humain, à travers la diversité des lieux et des époques, partout mise en lumière par l’illustre écrivain, une nouvelle et plus claire confirmation, M. Cousin se montre doué entre tous de cette éminente faculté du critique, l’intuition, la divination, qui complète, vivifie et parfois en partie supplée l’étude. Nulle histoire n’avait été conçue avec cette régularité de plan et ce procédé entraînant d’exposition. M. Cousin excelle à poser les philosophies en présence, à les mettre aux prises ; ce sont des batailles d’idées où rien n’est laissé à la fortune, où tout est clair parce que tout y tient à l’esprit et en dépend, et dont le résultat est toujours quelque vérité survivante dont les doctrines à venir feront leur profit. Personne, si ce n’est en quelques morceaux M. Royer-Collard, n’a su donner un pareil attrait à des luttes purement abstraites. Les systèmes, dans le brillant tournoi, dans la lice incessamment ouverte dont la vérité est le prix, viennent tour à tour prouver leur force, puis leur faiblesse, et, après s’être épuisés d’efforts en partie stériles, en partie fructueux, transmettre l’idée féconde à leurs vainqueurs et à leurs successeurs. Et, quasi cursores, vitaï lampada tradunt. Ce mélange de déductions, de faits, d’idées, compose un tout des plus solides et des plus intéressans. Le volume entier consacré à Locke est une application détaillée de cette méthode, si ce n’est que l’analyse et la discussion y reprennent, à côté et au-dessus de la simple exposition et du jugement succinct, la place qu’elles occupaient dans les premiers cours. Dans cette réfutation