Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/823

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce qu’ils devaient demander plutôt que l’abolition de ce droit, c’était celle de la vénalité ; que, du reste, la surséance de la paulette, la réduction des tailles et la suppression des pensions ne pouvaient être disjointes ; que l’abus des pensions était devenu tel, que le roi ne trouvait plus de serviteurs qu’en faisant des pensionnaires, ce qui allait à ruiner le trésor, à fouler et opprimer le peuple, et il ajouta en finissante : « Rentrez, messieurs, dans le mérite de vos prédécesseurs, et les portes vous seront ouvertes aux honneurs et aux charges. L’histoire nous apprend que les Romains mirent tant d’impositions sur les Français[1], que ces derniers enfin secouèrent le joug de leur obéissance, et par là jettèrent les premiers fondements de la monarchie. Le peuple est si chargé de tailles, qu’il est à craindre qu’il n’en arrive pareille chose. Dieu veuille que je sois mauvais prophète[2] ! » Singulières paroles, qui semblent retentir comme un présage lointain de révolution.

La noblesse ne répondit que par des murmures et des invectives à l’orateur du tiers-état ; le clergé avait loué son message en lui refusant tout concours ; resté seul pour soutenir ses propositions, le tiers résolut de les présenter au roi. Il en fit le premier article d’un mémoire qui contenait sur d’autres points des demandes de réforme, et-il envoya au Louvre, avec une députation de douze membres, Savaron, chargé encore une fois de porter la parole. L’homme qui avait donné aux ordres privilégiés des leçons de justice et de prudence fut, devant la royauté ; l’avocat ému et courageux du pauvre peuple : « Que diriez-vous, sire, si vous aviez vu, dans vos pays de Guyenne et d’Auvergne, les hommes paître l’herbe à la manière des bêtes ? Cette nouveauté et misère inouie en votre état ne produiront-elle pas dans votre ame royale un désir digne de votre majesté, pour subvenir à une calamité si grande ? Et, cependant, cela est tellement véritable, que je confisque à votre majesté mon bien et mes offices, si je suis convaincu de mensonge[3]. » C’est de là que partit Savaron pour demander, avec la réduction des tailles, le retranchement de tous les abus dénoncés dans le mémoire du tiers-état, et pour traiter de nouveau, avec une franchise mordante, les points d’où provenait le désaccord entre le tiers et les deux autres ordres : « Vos officiers, sire ; secondant l’intention du clergé et de la noblesse, se sont portés à requérir de votre majesté la surséance du droit annuel qui a causé un prix si excessif ès offices de votre royaume, qu’il est malaisé

  1. C’est-à-dire les Francs. Le soin de distinguer ces deux noms est une précaution de la science moderne ; ici, leur confusion involontaire donnait encore plus de force au discours.
  2. Procès-verbal et cahier, de la noblesse ès états de l’an 1615, manuscrit de la Bibliothèque du roi, fonds de Brienne, numéro 283, fol. 523, verso.
  3. Relation de Florimond Rapine, p. 198.