Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/861

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette sortie est évidemment selon toutes les règles du théâtre, c’est à dire on ne saurait mieux motivée. Mme Aston, après avoir inutilement porté son recours jusqu’au roi, fut obligée de vider les lieux, et il ne lui resta plus qu’à se pourvoir auprès du public, ce qu’elle ne manqua pas de faire.

Vient donc enfin son Apologie. Elle y commence assez adroitement par se moquer des gens qui lui défendent de fumer au nom de l’état ; elle demande grace pour avoir elle-même au bal invité ses cavaliers, puisqu’il n’y a pas de salon de ministre où cela ne se voie toutes les fois qu’on y danse un cotillon germanique et chrétien. Mme Aston n’était malheureusement pas femme à se contenter d’avoir de l’esprit, et, sautant à pieds joints par-dessus les frivolités de sa cause, elle s’est dépêchée d’arriver au sérieux de son état, à sa philosophie de dame humanitaire. Elle a voulu braver ses dénonciateurs en arborant aussi haut qu’un étendard sa plus intime pensée. Voici la profession de foi qui termine sa publication de 1846 ; ce n’est ni plus ni moins qu’une déduction logique et pratique du principe de la libre personnalité féminine posé dès la première page de cet étrange petit livre ; étrange, répétons-le toujours, non par le fond, que nous connaissons trop, car il nous appartient, mais par l’ostentation naïve avec laquelle nos sottises s’y déploient dans leur nudité. Nous avons eu des nuances et des habiletés de langage pour couvrir toutes les faussetés de situation ou de sentiment qu’il nous plaisait d’inventer ; nos traducteurs n’y regardent point de si près et ne font point tant de cérémonie ; ils reçoivent et donnent sans scrupule notre mauvaise monnaie pour du bon argent.

« Je ne crois point à la nécessité, je ne crois point à la sainteté du mariage, parce que je sais que son bonheur n’est, le plus souvent, que mensonge et hypocrisie. Je n’admets point une institution qui, tout en affectant de consacrer et de sanctifier le droit de la personnalité, le foule aux pieds et l’outrage dans son sanctuaire, qui, en s’arrogeant la moralité la plus haute, ouvre la porte à toutes les immoralités, qui, sous prétexte de confirmer le lien des ames, ne fait qu’en autoriser le trafic. Je rejette le mariage, parce qu’il donne en propriété ce qui ne peut jamais être une propriété, la libre personnalité de la femme, parce qu’il donne un droit sur l’amour, et que, sur l’amour, le droit ne peut rien prétendre sans devenir aussitôt une brutale iniquité… Notre siècle cependant est poussé par un ardent désir, par un élan plein d’espérance vers des formes plus libres qui laisseront enfin arriver l’essence humaine à la jouissance de tout son droit. George Sand marche devant nous comme la prophétesse de ce bel avenir, quand elle nous montre avec une vérité saisissante, les déchiremens de notre condition actuelle. Toute la nouvelle littérature française n’est qu’une procession de douleur et de désir vers le temple du saint amour, hélas ! trop profané. La seule émancipation que je rêve, c’est de rétablir le droit et la dignité de la femme sous un plus libre régime, par un plus