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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/867

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qui n’avait fait qu’un mariage, de dépit avec l’égalité et la fraternité. Aussi, quand il est une fois informé de son état légal, il va s’asseoir à Saint-Paul sur les bancs des privilégiés, des propriétaires et des doctrinaires ; il demande une charte avec deux chambres et la paix à tout prix ; il affecte d’avoir peur du communisme et du prolétariat ; bref, il n’est plus occupé qu’à deux choses : à se contempler au miroir pour se répéter qu’il avait bien le profil d’un grand seigneur, à se démener en l’honneur du progrès modéré et de la monarchie constitutionnelle. Je n’invente rien et je traduis presque. Mme Kapp emprunte à l’Ami des Enfans son type du frère égoïste et orgueilleux ; mais qu’invente-t-elle pour le punir, lorsque vient l’heure du châtiment ? Elle le condamne à passer dans le camp de la réaction. Voilà certainement une poétique et une moralité plus neuves que celles de Berquin.

Cette pauvre constituante de Francfort, qui n’a été chanceuse en quoique ce soit, n’a pas plus de bonheur auprès de Mme Kapp, et reçoit d’elle à bout portant les complimens les plus médiocres. Le parti des professeurs est représenté dans Manhold par un honnête pédagogue qui porte partout avec lui un ennui si épais, qu’il fait figure à part au milieu même des autres. l’objet de toutes les tendresses de l’auteur est au contraire un jeune étudiant de Vienne qui renie le nom de son père, brave capitaine au service de l’Autriche, et ne manque point une émeute, pas plus celles du Mein que celles du Danube. Pierre Meyer exécute avec la langoureuse Elfride un concert patriotique et platonique dont toutes les notes, moitié amoureuses, moitié républicaines, sonnent d’un son faux, à faire frémir ou bâiller. C’est une singulière impuissance et qui, mériterait un long commentaire que la stérilité misérable de nos modernes rêveries démagogiques pour tout ce qui est œuvre d’art et de goût. Je voudrais prouver qu’elles ne sont point conformes aux notions éternelles du bon et du juste par cela seul qu’elles sont si étrangères à la notion du vrai et du beau. Il y a dans toutes les imaginations une pastorale vieille comme le temps et jeune comme l’amour ; j’entends parler de ce drame charmant qui recommence incessamment depuis que le monde est monde, toutes les fois que deux êtres innocens et purs se trouvent à leur insu poussés l’un vers l’autre par ce mystérieux attrait de l’ame et des sens dont la magie les étonne en les subjuguant. Or, apprenez ce que deviennent Daphnis et Chloé, Paul et Virginie, transfigurés, à la guise de nos prêcheurs de fraternité ; apprenez comment la poésie du progrès nous massacre ces beaux adolescens ! Elfride n’est ni plus ni moins que la Chloé que la Virginie de Mme Kapp. Je sais bien que Mme Kapp ne met pas grande malice à déguiser sous un prestige quelconque la maussaderie de son personnage, et je ne doute pas que l’auteur de Consuelo n’en eût, par exemple, tiré meilleur parti ; mais cette maladresse même