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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/874

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il lui plairait le mieux de tenir la place. Il n’y a guère de fable un peu vivante où l’on ne retrouve au premier plan, avec tous les embellissemens de l’idéal, la tête même du poète ou du romancier ; c’est comme cela que les vieux maîtres aimaient à se représenter sur un coin de leurs toiles. Je serais bien étonné que Nanna ne fût pas tout le portrait de Mme Kapp, et je n’ai pas le moindre scrupule à risquer cette supposition, car enfin Nanna, pour n’être point de la meilleure espèce des doctrinaires, n’en est pas moins au fond une honnête personne, honnête de la plus ennuyeuse honnêteté. Je n’oserais, au contraire, me permettre de penser que Mme Aston ne fît qu’une seule et même âme, j’ajouterai qu’un seul et même corps, avec la prima donna de son roman. Ce serait de ma part une hardiesse trop blessante, et, jusqu’à ce que Mme Aston ait publié de nouvelles confessions, j’ai le droit de distinguer entre elle et le type auquel elle s’est complue. Cette baronne Alice est pourtant bien sa création favorite, et telle est en conscience la nature de ce rôle, que je serais embarrassé d’en parler ici très longuement. Tout ce que j’en puis dire de plus clair, c’est que la baronne use, pour affilier des conspirateurs ou surprendre des conspirations, de la ressource intime que Mme de Warrens, employait pour s’attacher de bons domestiques, et cela, il faut l’avouer, avec un zèle d’autant plus vif qu’il est beaucoup moins désintéressé que celui de l’insensible patronne des Charmettes. Le roman dans lequel la baronne tient ainsi le dé d’une conversation difficile à rapporter tout entière ne comporte pas non plus lui-même une analyse très étendue. Il n’y a pas là de ces morceaux de style qu’on puisse citer comme des échantillons de la pensée de l’auteur : la pensée est devenue chair ; tout se passe en action, et cette action aussi peu éloquente qu’un mélodrame est l’illustration la plus saisissante et la plus brutale des principes dont nous n’avons fait encore qu’examiner la théorie. Allons d’abord au fond du sujet.

On peut dire des révolutions de 1848 que le pied leur a glissé dans le sang de l’assassinat. À Rome, à Vienne, à Francfort, ne parlons point de Paris, elles ont succombé sous l’horreur qui accompagnait leurs débuts. La mort du général d’Auerswald et du prince Lichnowski a déshonoré en Allemagne le parti qui était obligé d’accepter la solidarité de ces abominables violences. Les victimes lui ont été plus redoutables et plus nuisibles du fond de leur tombe que de leur vivant. Le général d’Auerswald ne comptait point au premier rang parmi les membres influens de la droite dans l’enceinte de Saint-Paul. Le prince Lichnowski, maigre la facilité naturelle de son esprit et l’autorité croissante de sa parole, n’avait qu’une position contestée. Il n’était pas destiné sans doute à la gloire de Mirabeau, mais il était aussi mal servi que lui par ses antécédens ; sa jeunesse avait été plus orageuse que chevaleresque, et, parmi ses équipées, il y en avait qui sentaient l’aventurier très-moderne un peu plus que le paladin féodal. L’allusion désobligeante