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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/891

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car nous sommes au premier de l’an la grande fête des enfans, le grand ennui des gens âgés, des enfans sérieux. Ennui ou plaisir, c’est le jour de la réunion, la fête de la famille, et ici, loin des nôtres, nous ne pouvons que penser à eux. Ceux que nous aimons sont-ils seulement en vie ? Depuis bientôt deux mois nous sommes sans nouvelles.

Au point du jour, à six heures, le planton du colonel Cavaignac est venu l’avertir que le sergent Stanislas demandait à lui parler. — Que peut me vouloir ce sergent ? se dit le colonel. Faites-le monter.

— Mon colonel, je viens vous donner des nouvelles d’Alger et vous demander de me pardonner.

Alors seulement le colonel Cavaignac s’est rappelé que, retenu par une blessure, Stanislas était en effet resté au dépôt à Alger. C’était un brave sous-officier, plein d’énergie, mauvaise tête pourtant, et qui devait, il y a quelques mois, à sa brillante conduite une croix noblement gagnée. Puni de salle de police pour je ne sais quel méfait, il s’était dit : Un sous-officier décoré à la salle de police est déshonoré ! je ne veux pas y aller. Et pour, l’éviter, Stanislas n’avait pas trouvé d’autre moyen que de partir pour rejoindre, les bataillons de guerre. Le voilà donc en route, seul, sans armes, en uniforme de zouave, la canne à la main, traversant tout le Sahel, la plaine, le col, afin de gagner Médéah. Il aurait dû périr mille fois ; mais que lui importait ? il avait laissé sa croix à Alger, afin que, s’il était tué, elle ne servît pas de trophée aux Arabes. : « Passe pour ma tête, disait-il ; mais quant à ma croix, c’est autre chose. » Stanislas était arrivé à Médéah sain et sauf.

Le froid et la pluie mettent la constance de nos zouaves à une rude épreuve ; la terre est restée plusieurs jours couverte de deux pieds de neige : Enfin, le 16, nous pouvons essayer une razzia C’est l’iman de Médéah, l’un des prisonniers de notre dernière sortie, qui doit nous servir de guide ; il s’est offert lui-même, et l’on rapporte qu’il a eu avec le colonel Cavaignac la conversation suivante :

— Tu t’es offert pour servir de guide, lui dit le colonel ; es-tu dans les mêmes intentions ?

— Je n’ai pas changé, et suis prêt à partir.

— Mais peut-être crains-tu que je ne trouve mauvais que tu aies changé d’avis, et n’oses-tu m’avouer tes répugnances.

— Je ne crains rien ; je suis disposé à tenir ma promesse ou mon offre.

— Réfléchis bien ; oublie que tu es mon prisonnier, et que je suis le gouverneur de Médéah.

— Je n’ai pas besoin d’oublier, et suis prêt à te conduire.

— Imagine que tu es sur la montagne, libre comme l’oiseau, et que je suis, moi, renfermé dans la ville.

— Je n’ai pas besoin de tout cela, je suis prêt.