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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/898

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Nous sommes dans l’attente ; la ville a un aspect inaccoutumé, un air de fête est répandu sur tous les visages, chacun ressemble le peu qu’il possède ; et les zouaves ; aussi philosophes qu’un sage de la Grèce se préparent à tout emporter sur leur dos : une dépêche télégraphique nous a, en effet, annoncé l’arrivée, prochaine du général Bugeaud, la fin de notre exil, notre retour à la vie humaine.

Le 3 avril, après cinq mois d’isolement, nous retrouvons enfin nos camarades, nos amis, et le général Bugeaud, en passant devant nos rangs, à la vue de l’énergique attitude de nos soldats, a chargé le colonel Cavaignac de nous remercier au nom de l’armée de la vigueur dont les zouaves venaient de donner un nouvel exemple. La plus brande part de ces éloges est bien due au colonel Cavaignac, car, dans la fermeté de sa conduite, la noblesse de ses exemples, l’encouragement paternel de ses conseils, nous avons trouvé un puissant appui. Nos clairons ont sonné la marche, et nos bataillons se sont ébranlés pour venir reprendre leur place de bataille dans la colonne, que nous trouvons tout émue encore de la blessure que le général Changarnier a reçue ; il y a deux jours, en descendant le col. Les -réguliers ont, eu, près du bois des Oliviers, un engagement très vif avec nos troupes. Le commandant de latour-Dupin venait d’avoir son cheval tué. Une seconde après, au moment où le général Changarnier expliquait un mouvement à un de ses officiers d’ordonnance ; une balle l’a frappé au-dessous de l’épaule, près de l’omoplate ; il doit la vie à un gros caban de Tunis dont l’étoffe épaisse a amorti le coup. Rien n’était plus curieux, à ce qu’il paraît, que la figure du docteur Ciccaldi ; lorsqu’à la nouvelle de la blessure il est accouru près du général ; ce dernier avait mis pied à terre sous un gros olivier. « Voyons, docteur, dites-moi votre opinion, et, je vous prie, posez promptement un appareil, car l’affaire continue, et j’ai des ordres à donner. » Les premières paroles du docteur furent pour rassurer le général ; mais sa physionomie bouleversée annonçait assez son inquiétude : il se hâta de sonder la plaie, et aussitôt on vit un franc et bon sourire remplacer le sourire d’assurance qu’il avait cherché à se donner. « Mon général, ce n’est rien, s’écria-t-il tout joyeux, l’os n’est pas attaqué, et dans deux mois vous pourrez monter à cheval. — J’y serai plus tôt, mon cher, croyez-le, » lui répondit le général, et le pansement était à peine achevé, qu’après avoir remercié le bon docteur, il remontait à cheval et donnait ses derniers ordres avec sons sang-froid et son énergie habituelle. Son accueil a été plein de cordialité. Il espère que de brillans combats viendront nous récompenser de toutes les épreuves, supportées depuis cinq mois. Dire nos émotions serait impossible : c’est une confusion de nouvelles, de