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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/905

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une balle en pleine poitrine. On s’empare du cheval, admirable animal qu’une blessure à l’épaule avait seule pu empêcher de dérober son maître à la mort. « Voyez si cet Arabe est borgne, crie le capitaine Cassaignoles. » On se penche, un œil manquait. « C’est Sidi-Embarel alors ; qu’on lui coupe la tête. » Et Gérard lui sépare avec son couteau la tête du corps, pour que les Arabes ne doutent pas de sa mort ; puis tous se rendent au ralliement qui sonnait.

Le maréchal-des-logis Siquot retrouva à l’ambulance M. de Caulaincourt, que l’on espérait sauver. Tous les officiers de chasseurs étaient venus lui serrer la main, lui donner bon courage ; il n’en avait pas besoin, car jamais sa fermeté et son sang-froid ne l’abandonnèrent. « C’est égal, mon lieutenant, lui disait avec son accent allemand son ordonnance, qui ne le quittait pas, nous n’avons pas de chance. Ton cheval gris, il est blessé ; le noir, il est malade, et toi, tu es à moitié f… Décidément, mon lieutenant, nous n’avons pas de chance. » Ce fut pourtant, quoi qu’en ait dit le brave Laubeinburger ce fut une bien heureuse chance de se tirer la vie sauve d’une aussi horrible blessure. Tous ceux qui ont vu alors M. de Caulaincourt diront que sans son énergie il aurait succombé.

La chasse était terminée, les réguliers acculés, détruits ; le succès, avait récompensé de si cruelles fatigues. Le général Tempoure se hâta de rentrer à Mascara, et un mois après chacun recevait, selon l’expression arabe, le témoignage du sang, la croix si glorieuse pour un soldat.

Les hasards de la guerre nous séparèrent alors du caïd ; j’appris aussi la rentrée de Siquot en France, où, par une assez singulière coïncidence, ses amis de Paris lui ont donné, assure-t-on, le même surnom que ses amis d’Afrique. Quant au lansquenet allemand, il marqua d’un trait de courage chaque coin de la province d’Otan[1], et, toujours aussi heureux, se retira sain et sauf de toutes les bagarres. Lorsque

  1. Les états de service du caïd Osman, que le hasard nous fait retrouver, sont le meilleur commentaire de ce récit.
    « Engagé à Mostaganem, par le général de Lamoricière, aux spahis, 2 octobre 1841.
    « Cité à l’ordre de l’armée par le lieutenant-général Bugeaud, comme s’étant distingué au combat de l’Oued-Meoussa (El-Bordj), 8 octobre 1841. A eu son cheval tué sous lui.
    « Cité avec éloge dans le rapport du lieutenant-général Bugeaud à l’affaire de Tegmarel, 21 octobre 1841.
    « Brigadier, 21 décembre 1841.
    « Maréchal-des-logis, nommé à Frenda, 23 mars 1842.
    « Cité dans le rapport du général de Lamoricière pour sa belle conduite à Thegighest, aux Flittas, 18 décembre 1842.
    « Sous-lieutenant, 22 mars 1842.
    « Cité dans le rapport du général Tempoure pour sa belle conduite au combat de l’Oued-Mala contre Sidi-Embareck, 11 novembre 1843.
    « Cité dans le rapport du maréchal Bugeaud pour s’être distingué au combat contre les Marocains, 11 juillet 184(1) Dans la croyance musulmane, les anges rebelles furent précipités du ciel à coups de pierre. De là le nom de lapidé donné aux démons.