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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/931

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Pourvu qu’on lui laissât ses monts et ses forêts
Et qu’il eût de la poudre à tirer aux Anglais.
Autrefois il avait guerroyé chez les Sardes
Avec Napoléon, commandant dans les gardes
Urbaines. C’était là qu’en des rapports fréquens
Tous deux s’étaient liés de l’amitié des camps,
Au pied d’un fort où l’œil voit les traces d’un siége
(Napoléon sortait à peine du collége),
Où la première bombe est conservée encor
Dont le grand artilleur ait dirigé l’essor.
Depuis, — de leurs destins étrange différence ! —
L’un était retourné bientôt après en France,
Où grondait l’avenir, où croulait le passé,
Et l’autre dans son île ; où nous l’avons laissé.
En ce moment, ses chiens jouaient dans la prairie
Sans pouvoir, par leurs jeux, troubler sa rêverie ;
Autour de lui, les champs, les vallons, les coteaux,
Partageaient son silence ainsi que son repos ;
Et quelqu’un, ce jour-là, qui, guidé par un pâtre,
Aurait jeté les yeux sur tout ce vert théâtre,
N’eût pas cru que, la veille encore, au même endroit,
La discorde civile avait semé l’effroi,
Mais que c’était un coin d’une fraîche Arcadie
Qu’avait, jusque, alors, respecté l’incendie.

IV


Tout à coup, — n’est-ce pas un cheval qu’on entend ? —
Le jeune homme a dressé l’oreille en écoutant :
Un enfant en haillons et couvert de poussière,
Une espèce de Djin, bâtard d’une sorcière,
Chevauchait, en effet, sans bride et sans appui,
Un de ces noirs chevaux, à tous crins comme lui,
Allant comme le vent, petits, maigres et sales,
Qui semblent le produit des boucs et des cavales,
Tourbillon de malheur, centaure de Callot,
Et le tout pêle-mêle arrivait au galop.
L’enfant était porteur d’une lettre pressée,
Mais l’autre avait déjà deviné sa pensée,
Il la prit et la lut de ses yeux étonnés ;
Elle ne contenait que ce seul mot : — Venez !