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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/938

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XII


Pour moi, je n’ai voulu qu’une chose, traduire
Ce que, dans ses roseaux, la Gravone soupire,
Et voir jusqu’à quels tons ou graves ou légers
Peut descendre et monter la flûte des bergers.
Il est, dans mon pays, un instrument barbare,
Un cor, où toujours gronde une sourde fanfare
Dont le son autrefois, pareil à l’ouragan,
Appelait au combat tout un peuple brigand.
Sa voix ne s’entendait sur les monts gigantesques
Que lorsqu’on signalait de loin les Barbaresques ;
C’était alors Matra ; Paoli, Sanpiero,
Qui de Bastelica réveillaient le taureau,
Et l’on croyait ouïr les troupeaux en voyage,
Les populations que chasse un vent d’orage,
Tandis qu’à l’horizon, où passent des bruits sourds,
La Corse refermait sa ceinture de tours.
Dans une de ces tours, notre beffroi sonore,
Cette conque d’Éole est conservée encore ;
Mais une longue paix l’a laissée en repos,
D’une montagne à l’autre elle n’a plus d’échos ;
Les hommes d’aujourd’hui, descendus dans les villes,
Feraient, pour en jouer, des efforts inutiles.
J’ai voulu le tenter. — D’un souffle curieux,
Je viens d’interroger le cor mystérieux,
Heureux si j’en ai su tirer, dans ce poème,
Quelque note isolée et le motif que j’aime,
Et si ce faible accord peut rappeler parfois
Ceux dont il remplissait les rochers et les bois !


COSTA DE BASTELICA.

Château de Baratier, janvier 1850.