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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/990

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plus belles passions, et c’est lui qui excelle à rapprocher et à unir les hommes[1]. L’assistance, la charité, la fraternité, peu importe le nom, en même temps que c’est l’accomplissement d’un devoir chez le riche, impose au pauvre un devoir réciproque, celui de se rendre digne d’être le concitoyen et l’égal devant la loi, le frère devant Dieu, d’hommes bienfaisans, celui de témoigner, lui aussi, par son affection et sa reconnaissance, qu’il est imbu du sentiment de la charité, et c’est ainsi que chacun concourt au bonheur de tous et sert au bon ordre dans l’état.

Telles sont les idées que la commission, les jugeant ébranlées dans les esprits, a cru à propos de raffermir ; hors de là, en effet, pas de société possible. Les hommes qui parlent ainsi ne sont pas les ennemis du peuple ; les ennemis du peuple ne sont pas ceux qui rappellent au peuple les vrais principes. S’il y avait en France des ennemis systématiques du peuple, ce serait plutôt ceux qui lui promettent l’impossible et qui confondent tous les principes sociaux ; mais ne nous accusons pas les uns les autres d’être les ennemis du peuple : cette polémique envenimée ne fait pas les affaires des classes pauvres. Unissons-nous, concertons-nous sincèrement, loyalement ; c’est ce qui améliorera le sort de ceux qui souffrent et fera les affaires de tous.

Mais, si l’on ne peut, sans une injustice extrême, prétendre que le langage de la commission soit celui d’ennemis du peuple, est-ce à dire que ce soit celui d’hommes d’état ayant conscience de ce que la situation actuelle de la société a de menaçant, et appréciant l’urgence d’une conciliation entre les intérêts sociaux qu’on est parvenu à diviser ? Non. La commission a exposé quelques principes généraux parfaitement sains, et elle en a fait des applications critiques qui, pour la plupart, sont exactes. De la part d’un prédicateur dans sa chaire, ou de philosophes réunis en académie, c’eût été suffisant peut-être : on demande à des hommes politiques des conclusions plus pratiques et plus prochaines. Le prédicateur a rempli sa tâche quand il a déposé dans notre cœur le germe d’un bon sentiraient, le philosophe quand il a éclairé notre raison. L’homme politique, le législateur est tenu à des actes[2] : or, je ne vois point quel acte de quelque portée ressort du travail de la commission ; je n’y lis même rien qui témoigne du penchant à agir. On a fait table rase de différens faux systèmes ; c’est bien : d’autres l’avaient déjà fait d’une manière moins brillante, n’importe, il était bon d’y revenir ; mais quel système a-t-on ? car il en faut un. L’amélioration de son sort que la multitude cherchait de bonne foi dans le droit au travail, dans toutes les impraticables combinaisons des écoles socialistes, la commission me montre clairement qu’elle ne

  1. Voyez le discours de M. Dufaure, séance du 14 septembre 1848.
  2. Dans le langage polit que des Anglais et des Américains, une loi s’appelle un acte.