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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/994

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en contact les ouvriers et la bourgeoisie sur ce pied-là, auront les effets les plus salutaires ; ce ne sera pas de la philanthropie creuse, ce sera de la politique grande et féconde.

En m’exprimant sur ce ton d’espérance, ce n’est pas du roman que je fais, je suis les indications de l’histoire. La ville de Nantes possède une institution trop peu imitée, la Société industrielle, qui, parmi ses utiles attributions, comprend une caisse de secours mutuels qu’alimentent des souscriptions d’ouvriers et de bourgeois. En 1834, lorsque Lyon était en pleine rébellion, et que Paris même était le théâtre d’une émeute formidable, une fermentation sourde régnait à Nantes. On montait à ce moment une machine à vapeur destinée à mouvoir une scierie mécanique. Les scieurs de long, se jugeant menacés dans leur gagne-pain, avaient comploté de la briser. Les sociétés secrètes, qui étaient répandues sur tout le territoire de la France, prêtes à souffler le feu des qu’apparaissait une étincelle, les y excitaient. La démonstration, si elle avait eu lieu, eût entraîné vraisemblablement dans Nantes un soulèvement qui, répondant à la levée de boucliers de Lyon et de Paris, aurait pu avoir les plus funestes conséquences ; mais la Société industrielle intervint comme médiatrice. Le président de la caisse de secours, M. Dechaille, convoqua les scieurs de long qui étaient sociétaires. Les scieurs de long, exhortés par cet homme de bien, promirent de rester tranquilles, et, en gens d’honneur qu’ils étaient, ils tinrent parole[1].

L’idée d’utiliser la bienfaisance privée en appelant les personnes des classes aisées à concourir à la formation des caisses de secours mutuels, sert de base à un projet de loi très remarquable, dont le gouvernement a saisi l’assemblée. Les personnes aisées deviendraient membres des sociétés de secours, sous le titre de fondateurs, en fournissant une cotisation au moins double, en échange de laquelle elles auraient le droit de déverser les secours sur des ouvriers qui n’auraient, pu payer eux-mêmes. La bienfaisance publique s’associerait à la bienfaisance privée au moyen de diverses dispositions dont la plus saillante serait la répartition annuelle, entre les sociétés conformes à la loi, d’une somme d’un million à prendre sur les fonds de secours attribués au ministère du commerce. Le président de chacune des sociétés qui voudraient participer au bénéfice de la loi serait nommé par le président de la république. De cette façon, dans chaque ville, des hommes entourés de l’estime de tous, attachés à l’ordre, pénétrés d’un véritable esprit de conciliation, emploieraient leur influence bienfaisante en faveur des sociétés de secours, et la feraient sentir aux sociétés elles-mêmes.

  1. M. Dechaille est mort depuis plusieurs années ; il avait constitué la Société industrielle de Nantes avec M. C. Mellinet et M. Brieugnes, morts tous les deux aussi.