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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/1000

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contrée désignée par le nom de Eastern Townships (les communes orientales), que l’on considère comme le jardin du Canada. Dans cette fertile région croissent le froment rouge, le blé noir, l’orge, le maïs ; on dirait un paysage de Normandie traversé par la Seine : partout de la verdure, des pâturages, des arbres au feuillage riant, une population active, laborieuse, aux allures vives et enjouées. Il n’y a dans tout cela ni pauvreté ni souffrance, et pour tant ces heureux habitans rêvent un autre avenir qu’ils croient meilleur. Montréal veut devenir capitale de quelque chose, d’une province, d’un état peut-être. Située à soixante lieues au-dessus de Québec et à une égale distance à peu près du lac Ontario, peu éloignée de la route qui conduit au lac Champlain et à New-York, cette ville riche et populeuse, où la jeunesse se rassemble pour étudier, où s’élaborent et se discutent par la voie de la presse les projets plus ou moins chimériques des politiques du pays, se trouve parfaitement placée pour agir sur l’esprit des habitans de l’intérieur et pour entretenir avec la nation voisine des relations de plus d’un genre. Si la race française, abandonnée au Canada, veut courir les chances d’une nouvelle insurrection., — qui ne lui rendrait point sa nationalité perdue, — si elle obéit à ce sentiment d’américanisme qui fermente autour d’elle, ce sera de Montréal que le signal partira ; il sera entendu dans les villages canadiens qui bordent le fleuve, dans les bas quartiers et les faubourgs de Québec, et les french colonists de la Rivière-du-Loup y répondront à leur tour, eux qui déjà se sont laissé monter la tête par les turbulens démagogues. Mais, dira-t-on, Montréal est une ville de gentlemen, une ville d’étude qui possède deux académies, un institut mécanique avec un musée, une bibliothèque, des sociétés d’agriculture, d’horticulture et d’industrie : qu’ont de commun avec les idées républicaines ces institutions inoffensives ? Boston est, comme Montréal, une cité où l’on cultive les lettres, une cité de riches bourgeois aux mœurs un peu aristocratiques, d’apparence très pacifique, et c’est à Boston cependant qu’eut lieu le soulèvement qui amena la guerre de l’indépendance. Là où les bras se reposent, les têtes travaillent.


IV. – LE HAUT-CANADA.

À peu de distance au-dessus de Montréal, en remontant vers l’ouest, la rive droite du Saint-Laurent cesse d’appartenir à l’Angleterre : les traités en ont assuré la possession aux États-Unis. Les deux nations rivales sont là en présence, séparées seulement par la largeur du fleuve dont elles se partagent les eaux. Le pays change d’aspect ; on entre dans la région des lacs, dans le Haut-Canada. On n’entend presque plus parler français ; on rencontre de moins en moins le colon primitif roulant dans sa calèche traînée par un petit cheval à long poil,