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merveille[1]. Sur la rive opposée du lac Saint-Clair, on aperçoit les vergers des Canadiens français du district américain de Détroit (devenus citoyens des États-Unis par les derniers traités). Il y a quelques années, des missionnaires de notre pays ont, pour ainsi dire, découvert ces honnêtes paysans séparés de nous par tant d’événemens et par un espace de dix-huit cents lieues ; ils se sont fixés au milieu d’eux et ont ranimé, par leurs prédications, la vieille foi catholique qui commençait à s’obscurcir dans leurs coeurs. Les églises, l’hôpital, les écoles, que bâtissent aujourd’hui ces Canadiens, sont en grande partie le produit des aumônes que la France leur envoie.

Parmi les villages clair-semés dans la région dont London est le chef-lieu, il y en a un, Saint-Thomas, situé dans une anse du lac Érié, qui attire particulièrement l’attention des voyageurs. Celui qui l’a fondé, celui qui le premier vint d’Europe camper dans ce désert inconnu, le colonel Talbot, — surnommé par ses compatriotes le Lion de l’Ouest, le Nestor du Haut-Canada, — est encore là pour raconter aux nouveaux arrivans l’histoire de son établissement, dont l’origine remonte à cinquante années. Dans sa jeunesse, le colonel Talbot avait embrassé la carrière militaire, et il occupait un rang distingué dans l’état-major du lord-lieutenant d’Irlande. Saisi d’un ardent désir de vivre dans la solitude, il part pour l’Amérique en se dirigeant vers le Saint-Laurent. Il remonte le fleuve, arrive au lac Érié, et s’embarque dans une pirogue. Le voilà qui vogue comme un Indien, suivant la rive canadienne encore inculte, cherchant un lieu qui lui plaise. Une vallée couverte de beaux arbres, baignée par les eaux du lac, attire ses regards ; il y jette l’ancre, et fonde la petite colonie connue aujourd’hui sous le nom de Talbot’s Settlement. Heureux homme qui conçut un projet et put l’accomplir ! Les noyers et les érables qu’il a plantés ou laissés debout en défrichant forment autour de sa demeure de magnifiques allées. Tout ce que la main de l’homme a créé dans son voisinage est plus jeune que lui. Deux fois la guerre a détruit sa maison par les flammes, et deux fois il a refait son toit. La présence de ce gentilhomme de vieille race devait porter ombrage aux sympathiseurs américains ; à plusieurs reprises ils ont tenté de l’enlever. Ils ont rôdé en armes autour d’un vieillard qui ne leur causait aucun préjudice, et ne songeait pas même à eux. En vérité, cette manière de faire la guerre, ou plutôt de porter le brigandage sur le territoire d’un pays avec lequel on est officiellement en paix, excite le dégoût. Ce ne sont point là les préceptes que légua à ses concitoyens le général Washington.

  1. L’embouchure de la Tamise forme l’un des côtés d’une presqu’île peu étendue qui marque la zone la plus méridionale de tout le Canada, et s’étend entre le 42e et le 43e degré de latitude.