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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/1015

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jour où parurent les planches gravées par Edelinck et Gérard Audran. Enfin, si les graveurs anciens s’étaient appliqués à mettre en relief un certain genre de beautés conformes au goût et aux tendances particulières de leur école, aucun d’eux n’avait cherché ou du moins n’avait réussi à présenter dans leur ensemble tous les genres de beautés propres à l’art. Il était réservé aux graveurs français du siècle de Louis XIV de réunir, par un effort suprême, des conditions qui jusque-là semblaient s’exclure. En se montrant dessinateurs aussi savans, coloristes aussi habiles que leurs prédécesseurs, quels qu’ils fussent, ils l’emportèrent sur ceux-ci par l’harmonie de toutes les qualités, par la souplesse de l’intelligence et la correction absolue du talent. Les graveurs du règne de Louis XIII avaient annoncé dans leurs ouvrages ce mérite nouveau et préparé la venue des grands maîtres. À partir du moment où notre école de peinture s’affranchit de toute imitation systématique et prend une allure décisive, l’art du burin, faisant en France des progrès non moins significatifs, achève de secouer le joug auquel Callot avait le premier entrepris de le soustraire. Les frères Stella, oncles de la célèbre Claudine Bouzonnet-Stella, qui, par l’énergie extraordinaire de son talent, s’est mise au premier rang des femmes graveurs ; Jean Pesne. traducteur inspiré des tableaux de Poussin ; Israël Silvestre, Lepautre, Jean Morin, dont la manière est à la fois si pittoresque et si ferme, bien d’autres encore n’empruntent plus rien aux exemples de l’Italie, et rivalisent d’habileté dans des genres de gravure différens. Leurs travaux signalent déjà l’essor de l’art français ; mais bientôt les graveurs remarquables ne se comptent plus dans notre école, et nous ne nommerons ici que ceux dont les œuvres ont gardé une importance incontestable.

L’un des plus éminens en mérite et le premier suivant l’ordre chronologique, Robert Nanteuil, que ses parens destinaient au barreau, n’annonçait pas, dans les inclinations de sa jeunesse, cette vocation irrésistible pour les arts, indice ordinaire des grands talens. Tout en étudiant les lettres et les sciences à Reims, où il était né en 1630, il s’occupait bien de dessin et de gravure, mais sans volonté de s’y appliquer avec suite. Simple amateur, il y cherchait une distraction à ses travaux, peut-être un moyen nouveau de réussir dans le monde qu’il aimait beaucoup, et où sa figure, son esprit l’avaient mis en voie de succès. Il paraît cependant qu’après avoir traité si légèrement et à ses momens perdus l’art qui devait un jour le rendre illustre, Nanteuil jugea qu’il en avait fait un apprentissage suffisant, puisqu’il entreprit à dix-neuf ans de composer et de graver le frontispice de sa thèse de philosophie. C’était alors l’usage d’orner ces sortes de pièces de figures et d’attributs relatifs à la matière qu’il s’agissait de développer ; les peintres les plus distingués ne dédaignaient pas de dessiner de semblables vignettes, et celles qu’ont laissées Philippe de Champagne, Lesueur et Lebrun ne