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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/1041

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avait profondément étudié l’art sur lequel il a laissé quelques écrits recommandables ; mais il ne parvint jamais à en remplir toutes les conditions. Un peu trop préoccupé du sens moral de ses œuvres, il ne sait pas toujours s’arrêter à temps dans l’exposition de sa pensée ; il l’obscurcit en la surchargeant de commentaires, et l’on pourrait citer de lui tel sujet allégorique où la recherche de l’ingénieux a multiplié les détails jusqu’à la confusion. À force de vouloir être compris ; il devient souvent inintelligible. Toutefois, lorsque l’excès de l’analyse n’affaiblit pas, en le décomposant, son sentiment premier, Hogarth frappe juste et arrive à de puissans effets. Ces suites d’estampes où se trouvent représentées les actions successives d’un même personnage[1], suites qu’il a gravées en grande partie tant à l’eau-forte qu’au burin, ne sont pas, sous le rapport de l’exécution des ouvrages irréprochables ; mais l’expression et le geste s’y montrent presque toujours d’une vérité saisissante, et l’esprit intime de la scène y est rendu avec une véritable supériorité. À l’époque même ou le génie de Richardson opérait dans les lettres une révolution analogue, Hogarth (et c’est là son mérite principal) introduisit dans la peinture le dramatique familier. Créateurs du genre l’un et l’autre, L’artiste et le romancier ont eu, en Angleterre et ailleurs, des imitateurs nombreux on ne saurait dire qu’ils aient nulle part trouvé des rivaux. Le talent de Reynolds est d’une toute autre nature. Essentiellement pittoresque en ce sens qu’il consiste surtout dans le sentiment de l’effet et dans la puissance de la couleur, il offre un caractère de résolution que les graveurs pouvaient facilement apprécier et reproduire. Il ne s’agit plus ici d’intentions subtiles, ni d’accessoires morcelant l’ensemble. Tout procède au contraire d’une méthode synthétique ; tout est largement tracé et établi par masses, où se laissent à peine entrevoir quelques détails ; l’expression réside dans la tournure générale d’une figure plutôt que dans la finesse de la physionomie, et l’imagination du peintre a moins de délicatesse que d’éclat. Parfois, il est vrai, cette imagination dégénère en mauvais goût et en bizarrerie ; mais le plus souvent la pose a de l’aisance, de l’inattendu (mérite rare dans les portraits), et l’aspect respire une incontestable grandeur. Les qualités d’exécution qui distinguent les tableaux de Reynolds, franchise de t’effet, vigueur des oppositions, — qualités à la traduction desquelles le travail délié du burin ne pouvait qu’imparfaitement convenir, devaient être interprétées avec succès par la gravure en manière noire. Aussi l’extension immense que ce procédé a prise en Angleterre doit-elle être attribuée surtout à l’influence exercée sur les graveurs par le célèbre peintre.

  1. La Vie d’une Courtisane, la Vie du Libertin, le Mariage à la mode, enfin l’Industrie et la Paresse, suite de gravures retraçant la vie opposée de deux artisans, dont l’un devient lord-maire de Londres, et l’autre finit par être pendu à Tyburn.