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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/1056

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évidente et assez raisonnée pour qu’il méritât d’y laisser sa tête ; mais le débonnaire Boyer s’était contenté de le renvoyer de sa garde et de le placer avec son grade dans un autre régiment. Il conserva même à Similien la fourniture de l’habillement de l’armée, car Similien était tailleur. À la chute du tyran, Similien ne passa pas moins comme victime, et avec tous les profits attachés à cet emploi, dans le parti Hérard. Parmi les quatre ou cinq généraux noirs qui se soulevèrent successivement contre Hérard-Rivière, était, on s’en souvient, un général Dalzon. Dalzon fut tué sur l’acte, et le colonel noir Mercure, impliqué dans le complot, fut condamné à mort avec son propre fils qu’il y avait entraîné. Celui-ci était le filleul de Similien, qui se trouvait être ainsi le compère du colonel Mercure, titre plus sacré aux colonies et surtout dans l’ancienne population esclave que ceux que créent les liens du sang. Similien déclara cependant, la larme à l’œil, qu’Hérard avait droit de fusiller « compère Mercure ; mais tuer le fils parce qu’il avait obéi au père ! » voilà ce qui bouleversait ses notions du juste et de l’injuste, car, dans les idées du noir, il n’y a pas de limite connue à la toute-puissance paternelle. Le fils de Mercure fut fusillé en dépit des supplications et des menaces de Similien, qui, furieux contre Hérard ; se rallia à la scission de Guerrier, et se mit, dès ce moment, à faire une consommation effroyable de rhum pour se consoler de l’injustice des hommes.

Guerrier, devenu président, fit arrêter et mettre en jugement Accaau. « C’est juste ! dit sentencieusement Similien : Accaau n’a pas droit de tuer les mulâtres ; » mais en apprenant qu’on poursuivait Accaau, même au sujet des brigandages qu’il avait commis sous Hérard-Rivière et contre les partisans mulâtres de celui-ci, Similien entra dans une épouvantable colère. D’après lui, un gouvernement qui n’existait que par la chute du parti riviériste devait plutôt rendre graces à l’accusé de ce qu’il avait fait contre ce parti, et, suivant le fil de cette idée avec l’impitoyable persistance de l’homme ivre, il en était arrivé, au bout de huit jours, à faire publiquement le panégyrique d’Accaau. Cette fraction de la classe de couleur que Similien mettait ainsi en cause se récria, l’accusant d’adopter les haines de caste de l’affreux bandit. L’accusation alla droit au cœur impressionnable de Similien. Exaspéré de ce que les mulâtres ne saisissaient pas trop bien la distinction faite par lui entre leur couleur, qu’aurait dû respecter Accaau, et leurs opinions riviéristes, qui les désignaient à la justice d’Accaau, il crut de sa dignité de ne plus composer avec tant d’ingratitude, et, des altercations journalières aidant, Similien avait fini par vouer une haine acharnée à tous les hommes de couleur, — aux uns parce qu’ils étaient riviéristes, — aux autres parce que leur teint lui rappelait celui des riviéristes. Cette haine, mise en conserve dans un bain sans cesse